« Monsieur le Président du Conseil National des Barreaux,
C’est avec étonnement et perplexité que nous avons pris connaissance de la résolution du Conseil National des Barreaux concernant la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre adoptée à l’unanimité par l’Assemblée générale du CNB des 29 et 30 mai 2015.
Cette résolution rappelle l’attachement du Conseil aux principes directeurs des Nations Unies qui imposent justement aux Etats de traduire dans leurs droits nationaux lesdits principes et de tout mettre en œuvre pour faciliter l’accès à la justice, notamment des victimes des impacts des multinationales.
La proposition de loi votée le 30 mars dernier à l’Assemblée Nationale vise précisément à répondre à cet impératif en créant un devoir de prévention uniquement pour les très grands groupes, (ceux de plus de 5000 salariés en France et 10.000 dans le monde), soit environ 150 entreprises françaises.
Le CNB estime que « le texte de la proposition ne permet pas de répondre à l’objectif annoncé d’une meilleure protection des droits humains et de l’environnement par les entreprises dans le respect d’une juste corrélation entre le pouvoir économique des multinationales et leurs responsabilités juridiques ». Il s’agit d’une déclaration politique, voire idéologique, qui se positionne clairement du côté des organisations patronales et méconnait l’exigence de justice qui est celle des victimes des externalités négatives des multinationales à travers le monde.
Les motivations à l’appui de cette déclaration semblent contestables car ne devrions-nous pas nous réjouir que la France soir un Etat pionnier dans la mise en œuvre de normes contraignantes, sans lesquelles persisteront, vous le savez, des dénis de justice flagrants aux conséquences parfois massives.
Par ailleurs, toute avancée du droit est source de distorsion et le monde n’a jamais connu et ne connaitra jamais une harmonisation qui serait commune et immédiate entre différentes législations. Attendre qu’elle survienne, suppose d’assumer un renoncement à toute progression du droit et ce alors même, que chacun admet le caractère insuffisant voir ambiguë des seuls engagements éthiques unilatéraux pris par les grandes entreprises.
Cette déclaration méconnait également la réalité des entreprises qui se sont engagées spontanément et volontairement, ou souhaitent le faire, dans la mise en œuvre d’une obligation de vigilance et de sécurité et qui considère que c’est par cette mise en œuvre, qu’elles obtiendront des avantages compétitifs supplémentaires. A cet égard, vous pouvez lire la déclaration du groupe Bolloré dans son document de référence qui en appelle aux « EXIGENCES D’UNE LOI NOUVELLE » et précise que « ces dernières décennies, des attentes toujours plus fortes en faveur d’une responsabilité accrue des entreprises et de leur respect des droits de l’homme et de l’environnement ont été formulées. Les initiatives internationales sur la responsabilité des entreprises et leur devoir de vigilance, à caractère volontaire aujourd’hui, pourraient être renforcées par l’adoption d’une législation nationale. Passant de la notion de diligence raisonnable à celle de devoir de vigilance, la proposition de loi obligerait les entreprises à prouver qu’elles ont pris les mesures nécessaires et raisonnablement en leur pouvoir pour éviter la survenance d’un dommage. »
Par ailleurs, vous n’êtes pas sans savoir que des mouvements similaires sont en cours dans différents pays et que l’union européenne attend les initiatives nationales pour s’engager ; la France s’honorerait à faire œuvre de pionnier, conformément à sa tradition en matière de droit humains. Etant rappelé par ailleurs que cette proposition de loi figure parmi les engagements pris par l’actuel Président de la République.
Enfin sachez que différents députés dont, Madame la député Danielle Auroi, ont d’ores et déjà lancé l’initiative d’un carton vert au niveau du parlement européen.
Il est donc fâcheux de sembler s’opposer à la régulation d’une mondialisation dont les effets négatifs ne vous sont pas évidemment méconnus et alors même que la faillite de l’autorégulation est constatée par tous. Le Conseil National des Barreaux se fait le portevoix des seuls cabinets d’affaires, représentant ainsi sans doute l’intérêt de quelques grands groupes, mais oubliant par la même les communautés de victimes et les entreprises soucieuses de l’impact de leurs activités.
Nous vous prions de croire, monsieur le Président du Conseil National des Barreaux, à l’expression de notre considération.
William Bourdon, Président de Sherpa
Sandra Cossart, responsable du programme Globalisation et Droits Humains »