Contribution du CIAN à la question de la RSE – Assises du développement et de la solidarité internationale – Chantier 3 sur la cohérence des politiques de développement

13 janvier 2013 - CIAN

1. La RSE est une pratique des entreprises françaises qui se généralise en Afrique. Certaines expériences conduites depuis longtemps par des entreprises françaises sont significatives d’un comportement soucieux de la dimension sociale et environnementale de leurs activités. Nombre d’entre-elles ont dans le passé adopté des démarches empiriques, sans référence à un modèle particulier, pour répondre à des besoins spécifiques ou à des contraintes rencontrées. Les années 2000 ont donné une nouvelle impulsion à ce mouvement en faveur de la RSE. Progressivement les entreprises françaises innovantes l’ont intégré dans leur stratégie, comme une nécessité à la conduite de leurs affaires.

2. L’engagement en faveur de la RSE  s’inscrit aussi dans un cadre de plus en plus normatif. Les approches ont évolué depuis une décennie dans des cadres de plus en plus normatifs. Le renforcement de dispositifs tels que les principes internationaux est une tendance de fond qui oriente à présent les entreprises. De leur côté, les donneurs d’ordre (SFI, BAD, AfD, Proparco) demandent à ce que les entreprises soumissionnaires possèdent des qualifications RSE.

3. Les finalités recherchées par les entreprises sont diverses. Les bénéfices attendus sont de conforter la réputation de l’entreprise auprès des autorités locales comme auprès des collectivités, faire la différence dans une situation fortement concurrentielle à travers la perception positive que le consommateur a de l’entreprise et de ses produits, et renforcer l’adhésion du personnel aux valeurs de l’entreprise. Les retours d’expérience montrent qu’une démarche structurée se traduit toujours par une amélioration de la productivité, avec des résultats comme la baisse de l’absentéisme ou la réduction des coûts énergétiques, l’amélioration de la qualité des produits ou du service client.

4. Les conditions de travail et de vie des employés sont un enjeu décisif. La RSE s’inscrit en Afrique dans un cadre de plus en plus précis en ce qui concerne les normes du travail : respect de la liberté d’association, élimination de toutes les formes de travail forcé ou obligatoire, abolition du travail des enfants, élimination des discriminations en matière d’emploi et de profession. La politique salariale, l’amélioration des conditions de travail, la diminution des accidents, la baisse de la pénibilité sont aussi des préoccupations qui conduisent à des innovations intéressantes. Certaines entreprises sont parvenues à instiller un ferment de dialogue social dans leurs filiales, même dans les pays à régime autoritaire.

5. La question environnementale est devenue un élement essentiel du “permis d’opérer”. Les risques environnementaux concernent la déforestation, l’épuisement des sols, les menaces sur la biodiversité et la pollution de l’eau et de l’air. Ils font le plus souvent l’objet d’un traitement particulier. La question foncière est importante pour les entreprises extractives, forestières ou agro-alimentaires.

6. Le domaine des Droits de l’Homme est aussi important. Il est compris que des entorses à la liberté syndicale, des menaces à l’encontre des concurrents et une indifférence manifeste envers les préoccupations des communautés locales peuvent représenter de graves risques, dommageables en termes d’image. Des situations relevant du travail forcé ou du travail des enfants, des discriminations d’usage locales (sexe, ethnie, caste), peuvent se cacher en amont ou en aval. L’engagement de certaines entreprises passe par des audits spécifiques et l’appui d’ONG professionnelles.

7. L’entreprise est parfois amenée à prendre à sa charge des services publics. Dans certaines situations, les entreprises prennent en charge certains types des services qui ne font pas partie de leur cœur de métier. Elles doivent satisfaire une série de besoins qui ne le sont pas localement par les pouvoirs publics : fournir des logements, scolariser les enfants, alphabétiser les adultes, assurer l’accès à la santé, l’approvisionnement en eau potable… Par voie de conséquence, l’entreprise peut se trouver en position de substitut par rapport à l’Etat défaillant dans ses missions essentielles de service public.

8. S’assurer de l’acceptabilité sociale une nécessité. L’entreprise doit démontrer la valeur économique et sociale qu’elle apporte. L’exercice est par nature difficile et il devient sujet à controverses quand certaines ONG de plaidoyer s’en tiennent à un positionnement systématiquement critique. La gestion des controverses est toujours malaisée surtout quand le dialogue est compromis par l’usage d’anathèmes. La majorité des entreprises se retrouve cependant pour admettre avoir tiré des critiques des enseignements utiles, tant sur la communication externe que sur la mise en œuvre de leurs actions.

9. Les responsabilités amont-aval sont difficiles à gérer. Comment faire passer les principes de la RSE sur toute la filière, en amont auprès des fournisseurs, en aval auprès des distributeurs ? La question se pose dans divers domaines: biodiversité, sécurité alimentaire, corruption, travail des enfants. La diligence raisonnable s’exerce même quand l’Etat est défaillant. Il n’y a pas d’impunité en la matière. Que faire si le diagnostic révèle des atteintes aux droits fondamentaux ? Deux attitudes sont ouvertes : soit couper définitivement le lien avec le fournisseur ou le sous-traitant et s’affranchir ainsi de tout risque réputationnel, soit adopter une réponse graduée pour corriger les déviances et ne pas menacer l’emploi et les revenus des populations en amont, mais avec une forte exposition à la critique. Quand les griefs ne sont pas rédhibitoires, mieux vaut tenter de « moraliser » la filière, par touches successives, afin de la faire rentrer dans un cadre acceptable. Le concours des ONG professionnelles est alors souvent utile. Cependant lorsqu’une entreprise a tout fait pour prévenir ou réparer un manquement grave en matière de Droits de l’Homme par exemple (et qu’elle peut le démontrer), il est difficilement concevable qu’elle puisse être tenue pour juridiquement responsable.

10. Le mot clé de la communication est « transparence ». Le devoir de rendre compte est inhérent à une démarche RSE. Le rapportage est crucial. Il est important de pouvoir « prouver » son impact positif sur les territoires. Les entreprises qui s’en sortent le mieux face aux controverses sont celles qui ont ouvertement abordé les « sujets qui fâchent ». Le bénéfice de la transparence est important en termes d’image. Plus une entreprise s’engage à être socialement responsable, plus elle doit répondre aux critiques, car elle dispose ainsi d’éléments de réponse. Communiquer, c’est se forcer à honnêtement réduire la distance entre le dit et le fait.

Les dix recommandations  du CIAN

 

Des travaux de la Commission RSE du CIAN, dix recommandations peuvent être tirées :

 

  1. Comprendre et prendre en considération tous les enjeux stratégiques de la RSE, à savoir performance et qualité des opérations, conditions de travail et de vie des employés, adaptabilité sociale des actions, gestion des risques environnementaux, financiers, légaux et réputationnels.
  2. Préciser les engagements RSE dans un document spécifique (charte, code de conduite) détaillant les exigences de la démarches dans ses domaines essentiels et ses modalités concrètes d’application.
  3. Mettre en place une gouvernance interne d’animation et de contrôle, rattachée au plus haut niveau,  en adéquation avec les engagements et l’organisation des activités de l’entreprise, prévoyant un réseau de correspondants dans ses pays africains d’implantation.
  4. Impliquer le plus grand nombre de membres de l’entreprise dans le champ de la RSE, au delà de la simple sensibilisation des proches collaborateurs, pour en faire une composante forte de la culture de l’entreprise.
  5. Miser sur l’ouverture aux parties prenantes externes, en étant particulièrement sensible dans le contexte africain à la dimension interculturelle.
  6. Déployer des outils en référence aux standards mais adaptés pour tenir compte des spécificités de l’entreprise et du milieu économique, social et culturel africain
  7. Instaurer un contrôle systématique des engagements pris, à l’aide d’un rapportage/reporting incontestable, obéissant aux règles de l’art en la matière et, dans la mesure du possible, impliquant les parties prenantes locales.
  8. Faire preuve de diligence raisonnable envers ses fournisseurs et ses sous-traitants, notamment en matière de respect des Droits humains.
  9. Jouer, localement et internationalement, la totale transparence par une communication ouverte, publique et vérifiable.
  10. Participer à des expériences collectives en mutualisant réflexions, outils et retours d’expérience avec d’autres entreprises au sein du CIAN, de clubs, d’observatoires ou d’associations.
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