Myanmar : des compagnies minières étrangères se sont livrées, de connivence, à de graves violations et à des activités illégales

10 février 2015 - Amnesty International

« Des sociétés minières canadiennes et chinoises ont tiré profit de graves atteintes aux droits humains et d’activités illégales dans le contexte du site d’extraction du cuivre de Monywa (où se trouve la mine de Letpadaung, tristement célèbre), avec parfois l’accord tacite des autorités du Myanmar, écrit Amnesty International dans un rapport rendu public mardi 10 février.

Intitulé Open for Business? Corporate Crime and Abuses at Myanmar Copper Mine, ce rapport expose les nombreuses expulsions forcées et la pollution que l’exploitation minière a entraînées, détruisant des moyens de subsistance et mettant en danger la santé de milliers de gens. La police a fait usage d’une force excessive lors de manifestations de la population, recourant dans un cas à des munitions contenant du phosphore blanc – une substance explosive extrêmement toxique.

Amnesty International a également recueilli des éléments attestant d’activités illégales, dont de possibles infractions à des sanctions économiques.

« Le Myanmar offre des conditions idéales : des richesses naturelles, un système juridique faible et une économie sous l’emprise de l’armée et d’intérêts particuliers. Les autorités ont expulsé de force des gens, écrasé toute tentative de contestation pacifique et affiché leur réticence à amener les entreprises à rendre des comptes », a déclaré Meghna Abraham, spécialiste des infractions commises par les entreprises chez Amnesty International.

« Le projet de Monywa est un exemple édifiant en matière d’investissement dans le pays : les projets industriels et commerciaux y sont trop souvent caractérisés par des violations et les populations sont décimées au nom du profit. Les travaux de construction de la mine de Letpadaung doivent être suspendus immédiatement, tant que les questions relatives aux droits humains n’auront pas été résolues. »

Le rapport d’Amnesty International inclut des éléments d’information sur les faits suivants :

Plusieurs milliers de personnes ont été expulsées de force dans les années 1990. La société canadienne Ivanhoe Mines (aujourd’hui, Turquoise Hill Resources) savait que ses investissements entraîneraient des expulsions, mais n’a rien fait. Pendant plus de 10 ans, elle a réalisé des profits sur des activités d’extraction du cuivre, conduites en partenariat avec la junte militaire du Myanmar, sans tenter de venir en aide aux milliers de personnes qui se sont retrouvées sans ressources.

Plusieurs milliers d’autres personnes ont été expulsées de force depuis 2011 dans le cadre des travaux de construction de la mine de Letpadaung, exploitée par la société chinoise Wanbao et l’Union of Myanmar Economic Holdings Limited (UMEHL), branche économique de l’armée du Myanmar. La société Wanbao a participé directement aux expulsions forcées et a collaboré avec les autorités, en mettant notamment des bulldozers à leur disposition pour détruire les cultures.

En novembre 2012, les forces de sécurité ont eu recours à des munitions contenant du phosphore blanc, une substance explosive extrêmement toxique, lors d’un assaut lancé délibérément contre des villageois et des moines qui manifestaient contre les conséquences négatives de la mine de Letpadaung. Cette attaque a fait plus de 100 blessés, certains ont été gravement brûlés tandis que d’autres souffrent d’incapacité permanente. Une partie de l’attaque a été lancée depuis le site de la société Wanbao. L’utilisation par les forces de sécurité de phosphore blanc à l’encontre des manifestants est constitutive de torture, un crime au regard du droit international.

En décembre 2014, une femme est morte et plusieurs autres personnes ont été blessées lorsque des policiers ont ouvert le feu sur des contestataires rassemblés sur le site de Letpadaung. La police a à plusieurs reprises fait usage d’une force excessive pour réprimer les manifestations organisées contre la mine.

Via sa prise de participation dans le projet de Monywa, la société Ivanhoe Mines a été impliquée dans la vente de cuivre à des responsables des forces armées du Myanmar, alors que des sanctions économiques étaient toujours en vigueur. La société a menti publiquement au sujet de ces ventes de cuivre, et sa filiale a peut-être enfreint les sanctions économiques imposées par le Royaume-Uni.

La société Ivanhoe Mines s’est séparée de ses actifs au Myanmar dans le cadre d’un processus ultra secret impliquant des entités juridiques enregistrées aux Îles Vierges britanniques. D’après des éléments recueillis par Amnesty International au cours de ses investigations, la société et des entités juridiques qui lui sont associées pourraient avoir enfreint les sanctions économiques prises par le Canada et le Royaume-Uni lors de la cession. L’organisation demande à ces deux pays d’ouvrir une information judiciaire sur ces allégations.

Le conglomérat UMEHL détenu par l’armée a exploité illégalement une usine d’acide sulfurique approvisionnant la mine de Monywa pendant six années. Lorsque cette information a été révélée au grand jour, l’usine a été approuvée par les autorités, qui n’ont rien fait pour sanctionner l’UMEHL.

« Les gens qui vivent près de Monwya et de Letpadaung sont victimes depuis plus de 20 ans de violations de leurs droits, liées aux activités commerciales d’entreprises canadiennes, birmanes et aujourd’hui chinoises. Les investissements étrangers peuvent favoriser le développement du Myanmar, mais ce projet profite aux entreprises tout en étant néfaste à la population », a déclaré Meghna Abraham.

Amnesty International demande :

  • l’ouverture d’une enquête par le Canada et la Chine sur les activités menées par les sociétés Ivanhoe Mines et Wanbao au Myanmar ;
  • l’ouverture d’une enquête par le Canada et le Royaume-Uni pour déterminer si la société Ivanhoe Mines et les entités juridiques qui lui sont associées ont enfreint des sanctions économiques imposées par l’un et/ou l’autre pays ;
  • l’arrêt des travaux de construction de la mine de Letpadaung tant que les problèmes de droits humains n’auront pas été résolus ;
  • l’ouverture d’une enquête par les autorités du Myanmar sur l’opération menée par la police lors des manifestations de Letpadaung, notamment sur l’utilisation de phosphore blanc et sur le rôle joué par la société Wanbao, qui a autorisé les policiers à utiliser l’enceinte de la société pour lancer une partie de l’attaque ;
  • l’offre par les autorités du Myanmar de mesures satisfaisantes d’indemnisation et de réinstallation aux personnes expulsées de force, et la révision par celles-ci de leur cadre juridique dans le but de mieux protéger les droits des populations touchées par les activités minières.

Complément d’information
Le projet de Monywa inclut les mines de cuivre de Sabetaung et de Kyisintaung (S&K), ainsi que celle de Letpadaung. Les mines de Sabetaung et de Kyisintaung sont exploitées depuis les années 1980, celle de Letpadaung est en cours de construction.

En 1996, la société canadienne Ivanhoe Mines Ltd. et l’entreprise publique du Myanmar, Mining Enterprise No. 1 (ME1), ont créé une joint-venture, Myanmar Ivanhoe Copper Company Limited (MICCL), détenue à part égale par les deux sociétés. Cette joint-venture a exploité les mines de Sabetaung et de Kyisintaung.

En 2007, Ivanhoe Mines a décidé de céder les parts qu’elle détenait dans le pays, transférant ses actifs dans le cadre d’un mécanisme de fiducie.

En 2010, China North Industries Corporation (NORINCO) et l’UMEHL ont annoncé qu’elles avaient conclu un accord au sujet du projet de Monywa, incluant les mines de Sabetaung et de Kyisintaung et celle de Letpadaung. Des filiales de Wanbao Mining Ltd (détenue par NORINCO) exploitent aujourd’hui ces trois mines. Le détail du transfert des actifs de la joint-venture ME1-Ivanhoe Mines au partenariat entre la Chine et l’armée du Myanmar (Wanbao-UMHEL) n’a jamais été divulgué.

Amnesty International a contacté les sociétés mentionnées dans ce rapport pour connaître leur position sur les accusations portées à leur encontre. Les déclarations qu’elles ont, dans certains cas, accepté de faire ont été incorporées dans le rapport.

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