Le Centre de Ressources sur les Entreprises et les Droits de l’Homme dénonce les violations des droits de l’homme liées aux activités des entreprises privées en Guinée

« Etude sur les entreprises et les droits de l’homme en République de Guinée

Editorial

Depuis l’élection présidentielle de 2010, la Guinée a ouvert une nouvelle page de son histoire. Le Président Alpha Condé, avec sa volonté affichée de reformer le pays, a fait de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption dans le secteur minier l’une de ses priorités. Ainsi, il a confié des postes clés de ce secteur à des personnes respectées. Le Comité technique de revue des titres et conventions minières mis en place par le gouvernement en mars 2012 a fait ses premières recommandations sur le contrat signé avec BSG Resources qui porte sur le projet d’exploitation du fer de Simandou. La suite qui sera donnée à ces premières recommandations pourrait avoir un impact significatif sur la manière dont les grandes entreprises minières conduisent leurs affaires en Guinée.

La société civile éprouve des difficultés à relever les nombreux défis en matière de transparence et de respect des droits de l’homme par les entreprises mais elle est très engagée et dynamique. Elle déploie déjà d’immenses efforts dans ce sens et elle pourrait certainement mieux faire avec plus de moyens et d’expertise.

La Guinée affiche aujourd’hui une volonté politique d’assainir la gestion des ressources naturelles mais les défis restent énormes. On perçoit partout des signes de pauvreté. Visiblement, seule une minorité bénéficie des immenses revenus tirés de l’industrie minière. Il y a très peu de signes tangibles de partage des richesses. Les retombées économiques des ressources naturelles du pays ne se ressentent pas dans les services sociaux de base tels que la santé et l’éducation. Jusqu’à présent, une certaine culture d’impunité et de corruption caractérise le secteur des ressources naturelles. Des personnes et des institutions puissantes ont de gros intérêts à ce que des réformes ne se fassent pas ou du moins les détournent de manière à ce qu’elles leur servent à elles et non au peuple. Cette gestion frauduleuse des ressources a toujours privé le gouvernement de précieux revenus dont il a tant besoin pour améliorer la vie des populations.

La Guinée est l’un des plus grands producteurs mondiaux de bauxite (alumine de bauxite) mais elle possède également de nombreux autres minerais. Le gouvernement a révisé le code minier pour une plus grande transparence et une meilleure protection de l’environnement. Le comité technique examine si les conventions sont conformes aux lois et règlements. Ses conclusions peuvent aboutir à la renégociation ou à l’annulation de titres ou conventions miniers qui auraient été obtenus de façon non conforme.

La revue des contrats miniers est importante pour assainir le secteur et s’assurer que les ressources appartenant à la nation seront utilisées pour le développement du pays et non pas bradées. Par exemple, un contrat qui octroyait un permis d’exploration sur presque 10% du territoire national à une seule entreprise, GDC Mining, Oil & Gas, copropriété de la China International Fund et d’investisseurs guinéens, a été rompu.

Comme annoncé plus haut, le comité technique a également émis ses conclusions sur le projet du fer de Simandou de BSG Resources, décrit comme étant la plus grande réserve de fer au monde. Mais en se basant sur les commentaires du Président Condé et d’autres personnes qui pensent que le comité a prouvé que BSG a obtenu le contrat de manière illégale, les observateurs s’attendent à une recommandation d’annulation dudit contrat. La société civile apprécie largement le processus de revue des contrats et titres miniers, mais elle appelle tout de même à une plus grande clarté dans les procédures du comité technique et les standards sur lesquels les contrats miniers sont revus et évalués.

Les acteurs de la société civile dans le cadre de l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE-Guinée) ont expliqué les efforts fournis par le gouvernement pour répondre aux exigences de conformité de l’ITIE concernant la publication des paiements effectués par les entreprises minières et les recettes perçues par l’Etat. Le gouvernement a publié tous les rapports ces derniers mois afin d’être à jour et il attend maintenant la décision pour savoir si les progrès faits sont suffisants pour être déclaré conforme.

Indépendamment de la décision de l’ITIE, la société civile et plus précisément la Coalition guinéenne de Publiez Ce Que Vous Payez, a accueilli favorablement les progrès déjà réalisés, mais a aussi appelé à une vérification plus rigoureuse et indépendante des données fournies par les compagnies et le gouvernement (y compris les quantités de minerais extraites chaque année par les compagnies).

Le directeur exécutif de l’Agence nationale de lutte contre la corruption et la promotion de la bonne gouvernance voudrait inciter les entreprises à rejoindre le Pacte Mondial des Nations Unies. Il partage entièrement les dix Principes véhiculés par le Pacte, notamment ceux relatifs à la lutte contre la corruption et la protection des droits de l’homme.

Dans l’optique d’encourager un climat social apaisé, certaines ONG telles que le Centre du Commerce International pour le Développement (CECIDE) s’engagent à réduire les conflits entre les entreprises minières et les communautés locales. Le Centre organise ainsi des ateliers pour améliorer la compréhension entre les deux parties et développe également des modèles de compensation basés sur des principes internationaux – tout en veillant aussi à ce que les communautés affectées soient conscientes de leurs droits.
Malgré ces efforts de dialogue, les violations des droits de l’homme sont encore monnaie courante dans le pays. Le système judiciaire présente beaucoup de lacunes et l’armée intervient trop souvent dans la gestion des affaires publiques, y compris contre les personnes qui remettent en cause les activités des entreprises. En août 2012, les militaires ont tué au moins cinq personnes dans le village de Zogota où les communautés manifestaient pour des emplois dans la mine de Vale implantée dans leur localité. Jusqu’à présent, les responsables de ces actes n’ont pas été inquiétés selon l’ONG Les Mêmes Droits pour Tous.

De même, des dizaines de personnes opposées à un projet agricole d’une entreprise étatique ont été arrêtées. Ces personnes réclamaient justice car elles accusaient l’Etat d’avoir pris leurs terres sans compensation adéquate. Un tribunal spécial a été créé pour pouvoir les juger rapidement et, beaucoup d’entre elles ont été condamnées à de lourdes peines. Les soldats auraient également attaqué le village et violé une femme d’après nos sources.

Les droits des travailleurs sont également concernés. La situation des travailleurs d’une entreprise qui fabrique des produits en plastique à Conakry mérite une attention particulière. Il semblerait que cette entreprise refuse d’engager des employés avec des contrats en bonne et due forme afin d’éviter de payer toutes les charges légales. Elle ne respecterait pas non plus les conditions d’hygiène et de sécurité et les travailleurs blessés sont très souvent licenciés sans aucun traitement médical ni compensation.

L’usine d’alumine de Friguia qui appartient à la société minière Rusal est la plus grande d’Afrique mais elle a été fermée depuis près de deux ans à cause d’une négligence dans la maintenance d’abord, ensuite le prix très bas de l’aluminium sur le marché mondial et enfin un malentendu profond entre l’entreprise et le syndicat des travailleurs. Une grève du syndicat, jugée illégale par un tribunal du travail, conduisit à un arrêt provisoire des activités de l’usine en début 2012, à une suspension des contrats et du statut des travailleurs suite au lock-out décrété par Rusal et au non paiement de la plupart des salaires depuis le début de la grève. Certains syndicalistes qui occupaient l’usine ont alors tenté de la mettre sous cocon. Rusal affirme que les travailleurs ont menacé les employés expatriés et endommagé les machines de l’usine, et que les employés expatriés étaient obligés de fuir. Rusal a maintenu l’arrêt de l’usine depuis lors, et ce malgré l’acceptation éventuelle par le syndicat des conditions posées par Rusal et l’accord sur la suspension du droit de grève pour plusieurs années mais aussi l’accession du gouvernement à la demande de l’entreprise quant à des mesures de sécurité et un geste incitatif comprenant notamment une nouvelle concession minière.

A cause de cette crise à l’usine de Friguia, les travailleurs suspendus et leurs familles vivent actuellement le calvaire. La ville de Fria est sinistrée car elle dépendait des milliers de salariés et sous traitants de l’entreprise Rusal. Depuis 2013, la ville subit des coupures d’électricité presque totales sur une bonne partie du temps. Rusal affirme qu’il continue de fournir de l’eau aux habitants de Fria comme auparavant et que l’interruption dans la fourniture d’eau durant plusieurs jours au mois de décembre 2013 était due à un cas de force majeure. L’entreprise a aussi volontairement fourni de l’électricité à la ville. Beaucoup d’enfants ne peuvent plus aller à l’école à cause du non paiement de leurs frais de scolarité. Les habitants ont même écrit au Programme Alimentaire Mondial (PAM) pour demander de l’aide. Au stade actuel de leur situation, les travailleurs ont deux principales demandes : que Rusal leur paie la moitié des arriérés de salaire comme promis ; et qu’il clarifie leur statut juridique dans le long terme. De son côté, Rusal soutient que l’usine n’est pas économiquement viable vu le prix actuel de l’aluminium sur le marché mondial, mais qu’il cherche des solutions technologiques qui permettront une nouvelle rentabilité. Il a également souligné que toutes ses actions depuis le début de la grève des travailleurs ont été validées par une décision judiciaire rendue l’année dernière. Il n’a cependant pas répondu à la question de savoir si sa demande pour un moratoire sur le droit de grève des employés est conforme aux standards internationaux du droit du travail.

Vu toutes ces lacunes dans la gestion des ressources naturelles et le faible niveau du respect des droits de l’homme par les entreprises, la prise de certaines mesures concrètes visant à développer en Guinée un secteur privé plus inclusif, plus transparent et plus respectueux des droits de l’homme s’impose. Ainsi, le gouvernement devrait de manière urgente prendre les mesures suivantes :
• Améliorer l’indépendance et la capacité du système judiciaire pour qu’il garantisse mieux la redevabilité des entreprises en cas de violation des droits de l’Homme ;
• Améliorer la transparence du processus de revue des contrats miniers et assurer une vérification indépendante du volume des minerais extraits et des revenus déclarés ainsi que le demande la Coalition Publiez Ce Que Vous Payez-Guinée et ;
• Réduire ou éliminer le rôle des militaires dans la sécurité intérieure du pays.

Les entreprises présentes en Guinée ainsi que le gouvernement devraient rejoindre les Principes volontaires sur la sécurité et les droits de l’homme.

Les entreprises opérant en Guinée devraient aussi s’assurer d’appliquer les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, y compris notamment :
• l’adoption et la mise en œuvre d’une politique des droits de l’homme ;
• la conduite de processus d’évaluation transparents d’impacts sur les droits de l’homme et la prise en considération de leurs résultats dans les décisions majeures ; et
• le respect du droit à un recours effectif, y compris notamment par la création et la mise en œuvre d’un mécanisme de réclamation conforme aux critères établi dans les Principes directeurs.

La Guinée est sur le point de changer le cours de son histoire. Elle a la chance d’abandonner la violence et l’impunité qui ont presque toujours été des aspects constants dans sa politique et utiliser ses nombreuses richesses pour enfin sortir son peuple de la misère. Nous allons surveiller de près la conduite des entreprises opérant dans le pays et soutenir aussi tous les acteurs œuvrant pour une plus grande responsabilité sociétale des entreprises et un développement plus inclusif.

Signé par Aliou Diouf et Gregory Regaignon

Pour plus d’informations ou avoir des entrevues :

Dr Aliou Diouf, Chercheur et Représentant pour l’Afrique Francophone basé à Dakar (Sénégal)
Email : diouf@business-humanrights.org
Tél : +221 33 835 98 74
Gregory Regaignon, Directeur de recherche basé aux USA
Email : regaignon@business-humanrights.org
Tél : + 1 909 398 1531
Centre de Ressources sur les Entreprises et les Droits de l’Homme (Business & Human Rights Resource Centre)
Site web: www.business-humanrights.org

Communiqué de presse

« L’exploitation minière en Guinée est parsemée de multiples violations des droits de l’homme » affirment Aliou Diouf et Gregory Regaignon après une mission de recherche menée récemment à Conakry. Des progrès ont été certes réalisés dans ce domaine mais l’Etat et les entreprises doivent encore redoubler d’efforts pour faire du secteur minier un vecteur de développement respectueux des droits de l’homme », ajoutent-ils.

« En août 2012, les militaires ont tué au moins cinq personnes parmi des manifestants dans la localité de Zogota qui réclamaient des emplois dans la mine de Vale implantée dans leur terroir » selon les informations recueillies par Aliou Diouf et Gregory Regaignon dans leurs entretiens avec les différents acteurs.
Diouf et Regaignon soulignent également « le cas de dizaines de personnes opposées à un projet agricole d’une entreprise étatique qu’elles accusaient d’avoir pris leurs terres sans compensation adéquate. Ces personnes ont été arrêtées et leurs champs rasés. Un tribunal spécial a été créé pour pouvoir les juger rapidement, beaucoup d’entre elles ont été condamnées à de lourdes peines. Les soldats auraient également attaqué le village, tué le chef du village et violé une femme » selon leurs sources.

« L’usine d’alumine de la société minière Rusal (située à Fria) a été fermée depuis près de deux ans suite à une grève des travailleurs, jugée illégale par la justice guinéenne. Rusal a ensuite décrété le lock-out de l’usine et suspendu les contrats des travailleurs qui n’ont reçu que quelques paiements. Certains syndicalistes ont ensuite occupé l’usine et tenté de la mettre sous cocon. Rusal affirme que les travailleurs ont menacé les employés expatriés et endommagé les machines de l’usine, et que les employés expatriés étaient obligés de fuir. Rusal souligne que ses actions depuis le début de la grève des travailleurs ont été validées par une décision judiciaire rendue en 2013 » détaillent Mr Diouf et son collègue Mr Regaignon. « Les travailleurs suspendus et leurs familles vivent actuellement d’énormes difficultés financières et la ville de Fria est complètement sinistrée car elle dépendait entièrement des milliers de salariés de l’usine et de ses sous-traitants. Depuis 2013, la ville subit des coupures de courant presque totales sur une bonne partie du temps, même si Rusal a volontairement fourni de l’électricité à la ville. Malgré l’aide alimentaire fournie par Rusal, les habitants ont dû saisir le Programme alimentaire mondial (PAM) pour lui demander de l’aide supplémentaire » poursuit cette équipe de chercheurs.

La société civile, tout en continuant de jouer son rôle de veille et de défense des intérêts des communautés locales impactées par l’exploitation des ressources naturelles du pays, salue les efforts du gouvernement visant à contrôler et à réorganiser le secteur minier. En effet, « le gouvernement a mis en place un comité technique de revue des titres et conventions minières qui a fait ses premières recommandations sur la révision et l’annulation de contrats miniers existants » renseigne l’étude de l’ONG.

Pour une meilleure transparence dans l’exploitation des ressources naturelles, la société civile à travers la coalition guinéenne « Publiez Ce Que Vous Payez », dans le cadre de l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE), appelle à une à une vérification plus rigoureuse et indépendante des données fournies par les compagnies et le gouvernement sur les quantités de minerais extraites chaque année. Elle appelle également les autorités à aller au-delà des efforts actuels en prenant « des mesures concrètes qui viseraient à développer en Guinée un secteur privé plus inclusif, plus transparent et plus respectueux des droits de l’homme », soutient le Centre de Ressources sur les Entreprises et les Droits de l’Homme.

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A propos de l’ONG Centre de Ressources sur les Entreprises et les Droits de l’Homme (www.business-humanrights.org)

Le Centre de Ressources sur les Entreprises et les Droits de l’Homme (Business & Human Rights Resource Centre) est une ONG internationale indépendante qui œuvre pour une plus grande prise de conscience et un débat éclairé sur les questions relatives aux entreprises et aux droits de l’homme. Elle a son siège à Londres mais elle dispose également d’un bureau à New York (USA) et de nombreux chercheurs présents dans les différentes régions du monde. Elle met en exergue les impacts positifs et négatifs sur les droits de l’homme de plus de 5 500 entreprises dans le monde entier. Les ONG, les entreprises, les investisseurs et les gouvernements s’appuient sur les immenses ressources du site internet du Centre (www.business-humanrights.org). L’ONU et l’OIT, de leur propre initiative, ont lié leurs sites à celui du Centre. Le site du Centre affiche un large éventail de rapports d’ONG, d’entreprises et d’autres acteurs et fournit également des outils d’orientation pour aider les entreprises à mieux comprendre leurs responsabilités dans le domaine des droits de l’homme. »

 

Photo : Lena Veierskov – Site EuropeAid – Ecole en construction, Guinée

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