Intervention de Mr Doucin, Ambassadeur en charge de la RSE – Colloque « Devoir des États – responsabilité des multinationales : prévenir et remédier aux violations des droits humains et de l’environnement »

Intervention de Mr Doucin, Ambassadeur en charge de la RSE, représentant du Ministre délégué au développement

Devoir des États – responsabilité des multinationales : prévenir et remédier aux violations des droits humains et de l’environnement

Colloque organisé à l’Assemblée nationale par le Forum citoyen pour la RSE et le collectif de l’Éthique sur l’étiquette.

 

 Ce colloque est organisé à un moment particulièrement favorable pour soulever la question du devoir des États et de la responsabilité des multinationales afin de prévenir et remédier aux violations des droits de l’Homme et de l’environnement. En effet, se déroulent en ce moment, lancées par le gouvernement, des Assises du développement et de la solidarité internationale, qui réunissent de novembre 2012 à mars 2013, dans un dialogue d’une ampleur inédite depuis 1997, l’ensemble des acteurs du développement (administrations, ONG, syndicats, entreprises, fondations, collectivités territoriales, parlementaires nationaux et européens, organismes de recherche et partenaires du Sud). Elles posent entre autres la question de la RSE comme outil d’accompagnement du développement des pays émergents.

Par ailleurs, en réponse à la demande exprimée par la Commission européenne dans sa communication du 25 octobre 2011 « Responsabilité sociale des entreprises: une nouvelle stratégie de l’UE pour la période 2011-2014 », le chantier d’un plan national en faveur de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) a été ouvert par le gouvernement. Un document préparatoire sera envoyé prochainement à Bruxelles par le gouvernement français,  préparé par l’ensemble des administrations concernées. Il ne s’agit pas du « plan » à proprement parlé, qui lui, sera établi par la Plateforme RSE inter-acteurs dont la création est en cours, nous y reviendrons. La conception de ce document préparatoire a été l’occasion de concertations avec de nombreuses parties prenantes – consultation formelle des partenaires sociaux, du comité national du développement durable et du Grenelle, appel à avis sur Internet- . Mais ce sera le travail de la plate-forme pour la RSE, dont la mise en place auprès du Premier ministre a été actée par la conférence environnementale pour la transition écologique, que de le finaliser.

En outre, la communication de la Commission européenne a aussi demandé l’élaboration par les Etats d’un plan de mise en œuvre des Principes des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’Homme. Décision a été prise par le gouvernement de saisir la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) instance indépendante créée en 1947 par René Cassin pour éclairer l’action du gouvernement et du Parlement concernant le respect des droits de l’homme, dont la composition réunit l’expertise la plus complète et la plus pertinente possible sur le sujet : la Commission comprend, en effet, des représentants d’organisations patronales, syndicales, de défense des droits de l’Homme et des experts juristes de renom international. La lettre de mission l’invitera à proposer au gouvernement les points forts  que devrait comprendre ce Plan entreprises et droits de l’Homme.

Les enjeux de « soutenabilité de l’économie » et de « durabilité de la planète » sont donc pris de plus en plus en considération par la « technostructure française» et ce dans un esprit de dialogue avec la volonté d’une construction commune. Votre colloque, porteur de propositions, vient donc à point nommé.

J’ai assisté, depuis ce matin, à l’ensemble des débats, dont j’ai apprécié, comme madame et messieurs les parlementaires,  la grande qualité et le caractère stimulant. Parmi le grand nombre de thèmes qu’ils ont abordés, je me limiterai à commenter trois d’entre eux, qui me semble plus particulièrement importants. Je vais ainsi, porte parole du ministre délégué au développement, tenter de répondre à votre souci « d’élaborer des propositions concrètes pour le respect des droits humains et de l’environnement par les entreprises multinationales ». Ces trois questions sont les suivantes:

–       L’amélioration de l’accès des victimes à la justice.

–       Le devoir de vigilance à l’égard des risques de violation, ce qui, pour le gouvernement français se traduit d’abord par la nécessité d’une transparence des entreprises sur les impacts (extra financiers) de leurs activités.

–       L’utilisation des lois nationales au-delà de nos frontières : l’extra territorialité, qui est à rattacher à votre proposition  de « responsabiliser les sociétés-mères » pour les activités de leurs filiales et de leurs chaînes de sous-traitance, en France et à l’étranger, notamment via « la levée du voile juridique »

Sur ces trois thèmes, différents travaux sont en cours, tant au plan national, qu’européen ou international, auxquels les autorités françaises participent activement.  Je vais tenter de les résumer rapidement.

 

I. L’amélioration de l’accès des victimes à la justice

1.    La révision du règlement  Bruxelles 1 :

Le règlement (CE) 44/2001 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale fait actuellement l’objet d’une révision. Ce règlement Bruxelles 1 facilite la coopération judiciaire en matière civile au sein de l’UE en déterminant la juridiction la mieux adaptée au règlement de litiges transfrontaliers et en assurant la reconnaissance et l’exécution de décisions et d’actes authentiques établis dans un autre État membre. La compétence de principe est celle du domicile du défendeur et ce, quelle que soit la nationalité du défendeur. La France a proposé une modification de ce règlement qui permettrait, en cas de déni de justice du fait que les tribunaux du pays où un procès mettant aux prises des victimes et des entreprises violatrices filiales d’entreprises européennes seraient dans l’incapacité d’administrer une justice impartiale, d’attraire la procédure devant un tribunal européen ; Nous nous sommes inspirés d’une idée de Sherpa, de proposer de systématiser le principe du « forum necessitatis » qui existe déjà dans le droit européen, limité au droit des pensions alimentaires. Les négociations piétinent et l’appui des sociétés civiles des Etats réticents serait bien utile.

2.    Le soutien aux travaux du groupe d’experts des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’Homme

La France a beaucoup contribué à ce que le Groupe d’experts constitué par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU pour accompagner la mise en œuvre des Principes directeurs relatifs aux entreprises et les droits de l’Homme soit doté d’un mandat robuste. Parmi ses missions, nous avons obtenu qu’il collabore étroitement avec l’ensemble des procédures spéciales – c’est-à-dire des experts indépendants spécialisés qui surveillent l’application des conventions de droits de l’Homme traitant des différents types de droits de l’Homme et reçoivent des informations sur les violations commises à leur propos, par exemple concernant le droit à l’alimentation, le droit à l’eau, le droit à la santé, le droit à l’éducation, etc.

Ces « procédures spéciales » sont au cœur du système de défense des droits humains des Nations unies. Elles font partie des instruments les plus réactifs et flexibles du système de protection des droits humains. Olivier De Schuster, qui participait à vos travaux ce matin, rapporteur pour le droit à l’alimentation, a donné ici  un visage à l’une de ces procédures spéciales.

En mandatant le Groupe des cinq experts en charge du sujet transversal de la prévention des violations des droits de l’Homme de la part des entreprises, la communauté internationale a, à notre instigation, organisé une sorte de mise en batterie de toutes ces procédures au service de ce thème. Le travail qui s’est engagé depuis un an a permis de facto d’introduire la question du risque constitué par les entreprises dans les travaux d’experts qui jusqu’ici n’étaient autorisés qu’à considérer les violations commises par les Etats. Nous attendons de ce travail collectif la constitution progressive d’un corpus de doctrine couvrant l’ensemble des droits de l’Homme, y compris les droits économiques, sociaux et culturels que, les Principes directeurs sur les entreprises et les droits de l’Homme ont, c’est en tout cas l’opinion que la France a souvent exprimée, largement ignorés.

3.    La mise en œuvre du protocole additionnel au Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels

A propos de ces droits, justement, le protocole additionnel au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 2008 a été signé par une représentante du gouvernement français, voici trois jours. Ce Protocole facultatif marque une avancée importante pour la protection internationale des droits économiques, sociaux et culturels. Il institue en effet un système de plaintes individuelles et interétatiques devant le Comité des droits économiques, sociaux et culturels. Beaucoup d’entre vous savent le rôle important que la diplomatie française a joué, au côté du Portugal, dans une négociation que, après 15 ans de débats, l’on croyait condamnée. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels ne peut, certes, en vertu de ce protocole, traiter que de plaintes relatives aux  violations par les Etats. Mais, comme l’ont justement souligné les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme, lorsqu’un Etat possède des capitaux dans une entreprise, il se trouve engagé dans une responsabilité au regard des actes de cette entreprise. Le Comité devrait avoir à connaître, lorsque le Protocole entrera en vigueur – c’est-à-dire lorsqu’il aura été ratifié par un nombre suffisant d’Etat (10, nous nous en rapprochons) – des plaintes relatives à des entreprises publiques, comme du reste notre Cour européenne des droits de l’Homme a déjà eu à en traiter.

4.    Le nouveau dynamisme du Point de contact national français de l’OCDE

Comme vous le savez, le Point de contact national français de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques) connaît une véritable renaissance avec une équipe renouvelée à sa tête. Il est chargé de la mise en œuvre en France des Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, y compris en traitant d’allégations de violations de ces derniers par une offre de services pour une conciliation. A la différence de beaucoup d’autres PCN, sa structure tripartite rassemblant des syndicats, une organisation patronale et plusieurs administrations assure son impartialité. Son activité est coordonnée par la direction générale du Trésor. Comme le décrit son règlement intérieur, accessible sur son site,  « les décisions du PCN, qui peuvent prendre la forme de communiqués de presse, sont rendues publiques en tout état de cause par la direction générale du Trésor. Elles peuvent être spécifiquement adressées aux organismes publics concernés. »

Les pouvoirs du PCN sont apparemment limités, puisqu’ils reposent sur l’accord des parties pour s’entendre, mais il dispose, avec les communiqués finaux qu’il publie, du levier de l’impact sur la réputation. On sait le poids croissant du capital immatériel, dont fait partie l’image, dans la valeur des entreprises. Les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme font spécifiquement référence aux PCN comme exemple d’une institution non judiciaire efficace pour offrir aux victimes un accès à la justice, tout en ajoutant la condition qu’ils fonctionnent en respectant un certain nombre de critères, dont l’accessibilité et la transparence. La réforme du PCN intervenue en début d’année et qui intègre la version révisée des Principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales adoptée en mai 2011, va clairement dans ce sens. L’expression « les décisions du PCN […] peuvent être spécifiquement adressées aux organismes publics concernés » n’est pas très loin d’apporter une réponse à la demande du Forum citoyen pour la RSE de « conditionner les investissements et les garanties des institutions financières nationales » à des exigences extra financières.

En moins d’un an, le PCN français a reçu presque autant de plaintes qu’au cours des dix premières années de son existence et est parvenu à mener à bonne fin la plupart, signe que l’institution est reconnue, fonctionne et est appréciée. Il organisera au printemps prochain, dans un souci de transparence et de progrès, un séminaire ouvert à ses principales parties prenantes pour faire le bilan de ses méthodes.

5.    Au plan domestique, des progrès attendus dans l’accessibilité à la justice

Je mentionnerai simplement pour mémoire le chantier de réformes judiciaires engagé par le gouvernement qui inclut notamment la facilitation des recours collectifs au titre du droit de la consommation, qui devrait ouvrir une porte importante en ce qui concerne l’accessibilité à la justice.

6.    La protection des victimes désirant porter plainte

Il reste un sujet étrangement négligé dans les travaux internationaux, sur lequel la France se trouve à peu près seule à attirer l’attention depuis plusieurs années. Elle part d’un constat très communément fait, sans que les conséquences en soient tirées : quand vous travaillez dans une entreprise d’un pays situé loin de la « vieille Europe » ou que vous êtes un voisin d’une telle entreprise et que vous aimeriez pouvoir déposer une plainte judiciaire ou non judiciaire contre elle parce qu’elle vous paraît violer vos droits élémentaires, vous y regardez à deux fois. Car les mesures de rétorsion possibles vont du licenciement à l’assassinat, selon les pays, sans que la justice locale puisse ou veuille y faire obstacle. C’est l’une des raisons pour lesquelles si peu de plaintes parviennent, finalement, devant les instances nationales, et encore plus internationales, susceptibles de  les recevoir.

La présidence du Conseil de l’Union européenne a adopté en 2004 des Orientations sur les défenseurs des droits de l’Homme qui permettent des interventions des ambassades européennes auprès des autorités locales dans tout pays du monde où apparaît un risque de mise en danger de mauvais traitement pour un défenseur des droits de l’Homme qui voudrait exercer son rôle. C’est un dispositif discret mais efficace, dont il pourrait sans doute être fait plus grand usage. Peut-être que la présidence, de janvier à juin 2013,  de l’UE par l’Irlande, pays à l’origine de ces orientations – la France ayant organisé leur révision pendant sa propre présidence, en 2008 – voudra-t-elle s’intéresser à nouveau au sujet. Nous le pensons plus qu’important, décisif.

Comme vous l’aurez noté, sur ce thème essentiel de la protection des victimes et de la réparation à laquelle elles ont droit, le gouvernement français est très mobilisé.

 

II. Le devoir de vigilance (« due diligence ») à l’égard des risques de violation

J’en viens à ce thème que les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme ont posé en des termes renouvelé en invitant les Etats à prendre des mesures pour pousser les entreprises à exercer un devoir de vigilance sur l’ensemble de leurs activités, y compris celles sous-traitées.

1.     Le devoir de vigilance commence par un devoir de rendre compte

Lors du 1er Forum Mondial sur les entreprises et les droits de l’Homme qui s’est tenu voici quelques jours à Bruxelles, à l’invitation du Groupe d’experts que j’ai déjà cité, une experte américaine, le professeur Anita Ramasastry, a fait observer que les obligations de reporting que certains Etats et bourses de valeurs imposent aux entreprises sont une première étape importante dans la définition de règles gouvernementales concernant le devoir de vigilance. Dans un rapport qu’elle co-écrit avec notamment Olivier de Schutter, « Human Rights and Due Diligence, the Role of States », les auteurs développent cette idée et ajoutent : « Les origines du devoir de vigilance ne se trouvent ni dans le Conseil des droits de l’Homme, ni dans des démarches volontaires de RSE. L’ (exercice du) devoir de vigilance a pour point de départ les outils législatifs que les Etats mettent en œuvre pour s’assurer que le comportement des entreprises répond aux attentes sociales, dont les normes définies par la loi. ».  Come vous le savez, avec la loi NRE, dès 2001, les autorités publiques françaises ont exigé des sociétés cotées qu’elles divulguent des informations dans leur rapport annuel concernant les mesures prises pour prévenir les impacts sociaux et environnementaux de leurs activités. L’article 225 de la loi «Grenelle II» (juillet 2010) a étendu cette obligation, y ajoutant le thème de la protection des droits de l’Homme,  à toutes les grandes entreprises. A travers le rapport consolidé, les filiales sont également visées par cette exigence.

Pionnière du sujet sans pour autant employer l’expression « obligation de vigilance », la France continue et continuera de militer pour que le reporting extra-financier étendu aux droits de l’Homme soit intégré dans les normes internationales. Nous avons été jusqu’ici très isolés, vous le savez, y compris en Europe. Nous saisissons toutes les opportunités pour progresser.

Ainsi, à l’issu de la conférence Rio +20, la France s’est associée à l’Afrique du Sud, au Brésil et au Danemark afin de créer le Groupe des amis de l’article 47 dans le but de promouvoir le reporting en matière de RSE au sein des entreprises, avec le soutien du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et de la Global Reporting Initiative. La Norvège nous a, depuis, rejoints et d’autres pays ont manifesté leur intérêt. L’objectif est d’organiser dans ce cadre des travaux de comparaison des pratiques et de construction d’argumentaires afin de rallier un maximum d’autres pays à l’idée que la transparence du secteur privé est une des bases du développement durable.

La Communication du 25 octobre 2011 de la Commission européenne intitulée  « Responsabilité sociale des entreprises: une nouvelle stratégie de l’UE pour la période 2011-2014 », à la préparation de laquelle la France a beaucoup contribué, conforte notre démarche, précisant que : « Afin de recenser, prévenir et atténuer les effets négatifs potentiels qu’elles pourraient avoir, les grandes entreprises et les entreprises particulièrement exposées au risque d’avoir ce type d’effets, sont incitées à faire preuve de la diligence qui s’impose en fonction des risques, y compris dans leurs chaînes d’approvisionnement[…] La promotion de la responsabilité sociale et environnementale par l’intermédiaire de la chaîne d’approvisionnement, et la divulgation d’informations non financières sont considérées comme des questions transversales importantes. ». La communication annonce en outre une « initiative législative » pour rendre obligatoire le reporting extra-financier des grandes entreprises européennes. Vous savez qu’une bronca d’un certain nombre de gouvernements néolibéraux s’est constituée contre ce projet qui consiste en la révision de la 4e directive de modernisation comptable. A nos yeux, le projet de la Commission est déjà plutôt minimaliste, mais compte tenu de l’opposition qu’elle rencontre, nous le soutenons des deux mains.

2.    Le devoir de vigilance peut être impulsé aussi par la lutte contre la publicité mensongère.

La Directive 2006/114/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative protège les professionnels et les consommateurs contre la publicité trompeuse, qui est assimilée à une pratique commerciale déloyale. Cette directive établit une série de critères permettant de juger du caractère trompeur d’une publicité. Elle indique notamment que si une pratique est  trop éloignée d’un code de conduite rendu public celui-ci peut être qualifié de publicité mensongère. Nous sommes donc toujours sur la question de la transparence. Et comme les codes de RSE assurent souvent que les entreprises sont attentives au respect des droits fondamentaux dans leur chaîne d’approvisionnement,  l’UE dispose potentiellement d’un outil de mise en œuvre du devoir de vigilance… avec la perspective de sanctions judiciaires.

Une révision est en cours, dont on sait peu de chose, sinon qu’elle va porter en priorité sur la chasse au « green-washing », visant à élargir les critères permettant d’engager des poursuites contre les entreprises dont la pratique du devoir de vigilance relève du marketing. La délégation française a interrogé la Commission à ce sujet à l’occasion d’une récente réunion du Groupe d’expert de la RSE, soulignant qu’elle attendait que la révision ne se limite pas aux questions environnementales.

3.    Les pays en développement doivent aussi être associés à l’amélioration de la transparence de la chaîne de fournisseurs

Le discours international sur le respect des droits dans la chaîne d’approvisionnement des entreprises multinationales, est étrangement muet sur la question : « Qui  paie à la fin ? »  Le récent incendie dramatique dans une usine textile du Pakistan qui fournissait des entreprises occidentales a soulevé un coin du voile : avec des prix de vente très serrés, les propriétaires avaient considéré que les investissements de sécurité pouvaient attendre.

D’où la nécessité de trouver des cadres de dialogue avec les pays en développement au sujet du devoir de vigilance : comment les entreprises des pays pauvres, sous pression des donneurs d’ordre, peuvent-ils s’approprier les recommandations des standards internationaux ?

Un autre chantier gouvernemental, déjà évoqué, celui des Assises du développement et de la solidarité internationale, a commencé d’aborder la question, à propos de la révision envisagée du système des « accords de partenariat économiques » qui lient l’Europe à des groupes de pays en développement et permettent à ces derniers d’échapper aux règles de l’OMC, c’est à dire à l’obligation d’abaisser leurs protections tarifaires. En septembre 2009, un rapport au Parlement européen « sur la responsabilité sociale des entreprises dans les accords commerciaux internationaux», présenté par H. Désir, a préconisé la généralisation de clauses RSE qui permettraient une cogestion entre l’UE et les pays en développement sur le sujet.  La réflexion collective lancée par les Assises pourrait déboucher sur des propositions mettant à profit le cadre des APE pour passer à l’expérimentation.

 

III.            La question de l’extra territorialité

Les Points de contact nationaux pour la mise en œuvre des Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales exercent une forme d’extraterritorialité puisqu’ils traitent, selon une norme adoptée par 43 pays, de violations qui peuvent ne pas en être au regard du droit des pays où les faits se sont produits. Cet « outil » unilatéral lorsque le pays concerné n’est pas adhérent aux Principes ne suscite pas trop de réactions de la part de ceux-ci car son pouvoir, non judiciaire, se borne à des recommandations.

  1. Ne faites pas ce que vous n’aimeriez pas que l’on vous fasse

Mais l’extraterritorialité, très populaire, y compris dans les cercles onusiens lorsqu’on parle abstraitement de droits de l’Homme, ne va pas de soi. Nous applaudissons lorsque le Dodd-Franck Act, promulgué en 2012, instaure un contrôle des Etats-Unis sur toute entreprise ayant des intérêts aux USA et exerçant une activité d’extraction de minéraux en République démocratique du Congo et toutes zones de conflit, par le biais de la Securities and Exchange Commission (SEC), organisme fédéral de réglementation et de contrôle des marchés financiers. Les entreprises concernées doivent faire « un effort raisonnable » (devoir de vigilance) pour déterminer l’origine des métaux utilisés dans leurs produits et soumettre un rapport officiel sur les « minéraux de conflits ».

Mais nous apprécions beaucoup moins quand le même gouvernement exige des compagnies aériennes dont les avions atterrissent sur son sol des données personnelles d’ordre intime sur les voyageurs européens.  Et nous pourrions demain trouver encore plus inacceptables des lois promulguées par de grands pays non démocratiques qui souhaiteraient nous imposer des règles dérivées de leur conception particulière des droits de l’Homme.

Sur ce sujet donc, la France adopte une position prudente, pragmatique sans être fermée.

  1. Un outil : le réservoir des normes  européennes

La Commission européenne ayant prévu, dans sa communication, d’élaborer une doctrine générale sur l’application des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme au sein de l’Union Européenne, la France plaide pour examiner tout d’abord l’existant, c’est-à-dire l’acquis des normes et de la jurisprudence européenne.

L’étude précitée de Mme Ramasastry, de M. de Schutter, de M. Taylor et de M. Thompson, souligne que le droit européen comprend un certain nombre de dispositions qui ont des dimensions extraterritoriales. Le Conseil de l’Europe a publié le 30 novembre dernier une « Etude de faisabilité sur la responsabilité sociale des entreprises dans le domaine des droits de l’homme » qui confirme l’existence de telles normes et se propose d’explorer la possibilité d’en étendre la portée.

  1. Une notion juridique à préserver, la sphère d’influence

Le droit comptable européen est intéressant et original en ce qu’il cherche à répondre au défi que de nombreuses interventions ont souligné pendant cette journée : celui des entreprises qui s’organisent juridiquement pour apparaître comme n’ayant pas de filiales, donc pas de risque de se voir attribuer une responsabilité dans une autre entreprise qui commettrait un acte répréhensible au regard des normes locales ou internationales. Le sport est très répandu dans le monde des juristes d’affaire et l’on arrive à ce paradoxe que de grandes marques textiles n’ont, apparemment, personne qui travaille sous leur responsabilité. Or le droit européen définit le groupe à travers différents critères, dont celui de « l’influence notoire ». Ainsi, si les administrateurs d’une entreprise apparaissent liés à une autre de la même filière, il en sera déduit que les deux appartiennent à un même groupe.  La jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne a consolidé la notion.

Le Pacte Mondial des Nations Unies (Global Compact) a repris cette idée lors de sa fondation en 2000, qui invite les entreprises à « adopter, soutenir et appliquer dans leur sphère d’influence » un ensemble de valeurs fondamentales, dans les domaines des droits de l’homme. Cette notion de sphère d’influence est donc un levier d’action intéressant. Or, comme vous le savez, une véritable offensive a été lancée depuis quelques années, en particulier à l’occasion de l’élaboration des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme, pour abandonner la notion de sphère d’influence et la remplacer par la notion de « relations d’affaires », beaucoup plus limitée. Comme vous le savez, la diplomatie française s’est battue contre ce recul, avec un succès partiel faute de soutien, y compris de la part des ONG. Il faut continuer, ensemble, ce combat.

 

Conclusion

Comme je l’ai déclaré au début de cet exposé, nous sommes dans une phase importante au plan national, européen et international en ce qui concerne le thème de la RSE, et en particulier du respect des droits de l’Homme par les entreprises.

Le gouvernement s’est engagé dans des chantiers participatifs dont il attend beaucoup en termes de propositions responsables et courageuses. Les travaux engagés seront d’autant plus riches qu’ils résulteront d’une co-construction entre l’ensemble des acteurs, sans oublier ceux qui partagent avec nous l’idéal européen et ceux qui sont nos partenaires dans un monde où les cartes économiques sont en voie de redistribution rapide.

C’est pourquoi je me permets d’adresser mes félicitations à Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale, et à M. Dominique Potier, membre de la commission des affaires économiques, pour  l’intention qu’ils ont exprimée de lancer un « cercle de réflexion parlementaire » afin « d’élaborer des propositions concrètes pour le respect des droits humains et de l’environnement par les entreprises multinationales », avec l’objectif in fine de créer un groupe parlementaire travaillant sur la RSE. La Représentation Nationale a, évidemment, toute sa place, dans cette co-construction.

 

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