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VIDÉO ET PRÉSENTATION
Afrique : quelles solutions innovantes pour un habitat et des villes durables ? Avec F. Bonnifet, de Bouygues

Le 6 janvier 2017 -

Intervenant

Fabrice Bonnifet,

Directeur Développement Durable et QSE (Qualité-Sécurité-Environnement), Groupe Bouygues [France]

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Présentation

 

 

 

 

 

Compte-rendu

Le 6 janvier 2017, Fabrice Bonnifet, Directeur Développement Durable et Qualité Sécurité Environnement de Bouygues, est intervenu sur le sujet des solutions innovantes pouvant être appliquées en Afrique pour un habitat et des villes durables.

En introduction du webinaire, Joëlle Brohier, présidente de RSE et PED, a rappelé brièvement quel était le contexte africain actuel, avec sa forte croissance démographique urbaine et son développement économique. Elle a posé deux premières questions de participants à Fabrice Bonnifet : quels nouveaux modèles pour les villes durables en Afrique sachant que l’Afrique a la chance de voir ailleurs les limites du développement ? Comment les ODD s’articulent avec les villes durables en Afrique et comment est pris en compte le contexte de pauvreté africain ?

Fabrice Bonnifet a commencé son propos en rappelant que la problématique des villes durables est commune à tous car 70% de la population mondiale sera urbaine d’ici 2050. La question que s’est posée Bouygues est comment reconstruire une ville sur la ville et l’aménager suite aux limites des villes de la période industrielle. Ce principe d’aménagement des villes du futur est particulièrement pertinent pour l’Afrique et sa forte croissance démographique.

Fabrice Bonnifet a alors cité les leviers nécessaires pour aller vers une ville durable :

  • Améliorer l’autonomie en ressources des villes : elles doivent être auto-productrices de ressources alimentaires et énergétiques. L’exemple est donné des bâtiments à énergie positive avec intégration en amont de cellules photovoltaïques (en intégré bâti), de moins en moins chères, et de la collecte d’eau traitée automatiquement. Les bâtiments à terme seront autonomes. Intégrer ces contraintes dans les cahiers des charges doit devenir une obligation.
  • Optimiser la qualité d’usage des bâtiments sur des plages horaires de plus grande amplitude que celles actuelles : chez Bouygues ce sont des « bâtiments hybrides à économie positive ». Les infrastructures Bouygues doivent avoir un usage secondaire en ouvrant les zones partageables aux autres parties prenantes : privilégier les bâtiments pluri-utilisateurs utiliser moins de foncier et de matériaux, et est plus rentable. Il donne comme exemple l’utilisation de bureaux hors horaires classiques pour des activités culturelles, pour de la formation continue ou encore pour un usage associatif.
  • Développer l’agriculture urbaine et les circuits courts : cela permet de diminuer les nuisances et la consommation d’énergie fossile. Avec l’utilisation de la 5ème surface (les toits), il est possible de faire de l’agriculture et de la production d’énergie (photovoltaïque en ombrière). Ce type de structure suppose que le bâtiment gère l’irrigation des cultures au goutte à goutte. La 5ème surface est à systématiser.
  • Développer la « démobilité » chez Bouygues. Fabrice Bonnifet explique par ce terme que la ville doit intégrer la mixité fonctionnelle, ce qui n’est historiquement pas le cas des villes européennes qui ont séparé les zones résidentielles des zones d’activités, ce qui crée de forts mouvements et donc des embouteillages. Pour lui, l’Afrique doit directement appliquer la mixité fonctionnelle pour que les gens habitent où ils travaillent. Les bâtiments devront avoir des usages commerciaux et résidentiels. Il prend pour exemple les bâtiments haussmanniens.
  • Construire des logements : c’est le grand défi pour l’Afrique. Avec l’explosion démographique, le logement doit être peu cher à construire et à exploiter. Pour Fabrice Bonnifet, il faut un vrai courage politique pour arrêter la construction traditionnelle et accepter les modèles de construction industrielle comme en Corée du Sud. Cela consiste à construire en ville des logements préfabriqués qui s’assemblent comme des Légo à moindre coût, en plus grande quantité et plus rapidement. La construction industrielle est incontournable en Afrique pour répondre à la croissance démographique. Elle est plus sobre, bioclimatique, permet d’utiliser des matériaux locaux, divise le prix par 4 voire par 5. Du fait de son ensoleillement, la généralisation des dernières générations de photovoltaïque intégré bâti est encore plus pertinent pour l’accès à l’énergie.

Ces pratiques devraient être généralisées, d’autant plus en Afrique pour son enjeu démographique.

Après les leviers de la ville durable, Fabrice Bonnifet a rappelé que les efforts bas carbone doivent être faits par tous même si les pays d’Afrique sont loin d’être les plus gros émetteurs.

3 éléments participent à la réduction d’émission de carbone :

  • Les matériaux : substituer le béton et l’acier par des matériaux locaux (terre, bois, etc.) sourcés et biosourcés. Ces derniers permettent également l’industrialisation.
  • La consommation d’énergie du bâtiment en période d’exploitation : le seul problème avec le photovoltaïque est le stockage de l’énergie. Fabrice Bonnifet apporte comme solution temporaire les batteries de seconde main des voitures électriques importées en Afrique spécifiquement pour cet usage. Le solaire peut également produire de l’hydrogène pour pallier à la question du stockage. Le vrai enjeu des villes est d’avoir la capacité à stocker les énergies renouvelables.
  • L’économie circulaire : les bâtiments doivent être conçus pour la « déconstruction » et non la démolition. C’est de la construction avec des « briques élémentaires » permettant une construction à l’infini les briques étant réutilisables et évitant le gaspillage des ressources et de l’énergie. Les bâtiments deviennent des banques de matériaux pour le futur.

Joëlle Brohier a ensuite invité Fabrice Bonnifet à intervenir sur les innovations de Bouygues pour les éco-quartiers, la mobilité douce, et les services à la ville en général, leurs applications en Afrique, et en quoi ils transforment les métiers de Bouygues et du secteur du bâtiment.

Fabrice Bonnifet a présenté :

  • City Box : un lampadaire intelligent qui concentre plusieurs réseaux : éclairage publique solaire, usage informatique (hotspot wifi pour limiter la fracture numérique), production de son, vidéo surveillance, recharge de véhicule électrique,
  • Wattway : une route qui intègre une centrale solaire au sol. Les premiers modèles du dispositif sont pour l’instant déployés en Europe mais peuvent être déclinés en Afrique.

Après l’échange questions/réponses (qui se trouvent plus bas), Samuel Youmbi a rappelé les différents points abordés par Fabrice Bonnifet lors du webinaire. Il a conclu que l’habitat durable est une solution pour l’Afrique qui est en demande. Et que le transfert de compétences est un avantage pour les pays en développement à encourager en Afrique.

Questions/Réponses

Qui sont les principaux acteurs pour la mise en place de l’habitat et de la ville durables ?

Il y a de multiples acteurs. Les meilleurs modèles sont les villes des pays nordiques qui sont très en avance car ils ont compris la notion de l’écologie industrielle appliquée à l’urbain. Le modèle le plus durable pour une ville est qu’il y ait une éradication totale du déchet ultime. Ainsi l’énergie non utilisée produite par un bâtiment qui est utilisée par un autre bâtiment (smartgrid), la mise en place de méthaniseur de déchets pour produire du biométhane dans la ville (comme en Inde). Les méthaniseurs sont peu chers et peu complexes à installer et exploiter.

Comment peut-on inciter les décideurs à intégrer ces solutions et à repenser les villes ?

Le problème ce n’est pas la technologie qui est mature. Les problèmes sont la gouvernance, le problème de l’accès à l’information par les décideurs politiques, l’influence des lobbys qui servent toujours le même modèle de développement des villes actuelles qui n’est pas durable, le manque d’expérimentation et de démonstration. Les salons comme Pollutech permettent de présenter les solutions techniques aux décideurs. Bouygues soutient celui de 2018 en Côte d’Ivoire.

Quand on parle de bâtiment préfabriqué pour l’Afrique dans une contexte de main-d’œuvre peu qualifiée et peu habituée aux process industriels alors que l’on a un grand nombre de bâtiments à construire, est-ce réaliste, même à moyen terme ?

Oui c’est réaliste. En Afrique il y a beaucoup d’atouts : la jeunesse de la population, la soif d’apprendre. Oui il y a un problème de compétences mais avec des organisations comme Ashoka, on voit qu’il y a la possibilité de faire de la formation et du transfert de compétences assez rapide sur le terrain pour que la construction démarre dans les villes. Il faut aussi qu’il y ait une gouvernance et une volonté politique de promouvoir ce modèle de construction. Ce qui est tout à fait possible en Afrique.

Le Groupe Bouygues a développé des moyens de réduire les coûts de construction. Cependant, un grand nombre de personnes n’a pas accès à l’habitat formel. Le Groupe Bouygues a-t-il un programme de logement destiné à la population « base of the pyramid » (avec peu de revenus) ? Lafarge a par exemple un Affordable Housing Progam.

Bouygues a ce type de programme mais qui n’est pas encore développé en Afrique ; pour l’instant seulement en Europe où il y a également des populations pauvres. Bouygues a développé un modèle de construction de logements sociaux à ultra bas coûts. Ce modèle d’auto construction pouvant être à moins de 6000€ par logement pourra demain être transposé au bénéfice des personnes n’ayant que quelques dollars de revenus par jour.

Qu’en est-il du coût de mise en œuvre des matériaux locaux surtout en milieu urbain, en rapport au traditionnel béton ? Le sable prélevé en périphérie et le ciment produit sur place ne font-ils pas du béton un matériau relativement local ? Ne peut-on pas construire un éco-bâtiment avec du béton ?

Cela dépend de ce dont on dispose sur place. Par exemple la construction en terre cuite au Mali est pertinente. Il ne faut surtout pas construire en béton. Il y a de bonnes réserves de terres argileuses de qualité qui ont toujours permis des constructions de qualité à des coûts acceptables. Il faut toujours privilégier d’autres matériaux au béton dès que cela est possible. Car qui dit béton dit ciment et acier qui ont des impacts sur le climat et ne suivent pas les recommandations de la COP 21.

Comment les objectifs de développement durable des Nations Unies (ODD) s’articulent avec les villes durables en Afrique ?

Les ODD sont des intentions louables pour la réduction de la pauvreté qui ont participé à réduire la mortalité infantile, etc. Ces éléments progressent même si c’est trop lentement. Le vrai défi est l’atteinte des ODD. Ce n’est pas la technologie qui va sauver le monde. Elle est déjà mature. Il n’y a pas de verrou technologique à part pour les substitutifs aux énergies fossiles pour le transport aérien. Mais dans tous les autres domaines, l’habitat, la production d’énergie électrique, les techniques d’alimentation alternatives avec la permaculture par exemple, ces technologies existent et son viables. Le problème est la gouvernance, la non-décision et les lobbys locaux.

Considérez-vous le développement du micro-crédit comme un facteur d’amélioration pérenne et durable soit comme « une solution innovante pour un habitat et des villes durables » ? Si oui, dans quelle mesure ?

Le microcrédit est une des solutions et déjà utilisée à bon escient en Afrique. Il faut que les banques traditionnelles s’intéressent plus à ce type de financement pour l’entrepreneuriat local. Le crowdfunding est également un autre levier.

Qu’en est-il des possibilités de partenariat avec Bouygues et de toutes les approches de logement durable ?

Bouygues ne travaille pas en mode diffus mais avec des Etats et des villes auxquels il propose des solutions intégrées et globales où sont mixés les réseaux d’eau, d’assainissement, les constructions bas carbone, la production d’énergie, l’exploitation. Bouygues peut adapter ses solutions aux villes africaines avec l’utilisation de matériaux locaux, des constructions extrêmement frugales tout en ayant de bonnes normes sanitaires. Tout dépend de la volonté des politiques, comme à Casablanca où Bouygues intervient dans le quartier Anfa. Bouygues propose le concept Urbanera pour construire des villes sur les villes en intégrant les enjeux du développement durable.

Y a-t-il des villes durables en Afrique ?

Il y a des initiatives mais l’essentiel tout du moins pour Bouygues n’est pas en Afrique, hormis l’éco quartier d’Anfa à Casablanca qui est en cours. Autrement les constructions durables de Bouygues se situent plutôt en Europe. Le savoir-faire existe mais maintenant il faut le déployer dans les villes comme celles d’Afrique dont la croissance démographique est très importante.

Quelques contributions des participants

Triomphe consulting : dans certains villages au Bénin, on construit des bâtiments à l’aide de terre battue d’agile et eau, mais malheureusement pour cause de modernité cette genre de construction est en voie de disparition.

Marco Sacchi : La Voûte nubienne est une ONG qui propose des alternatives innovantes aux constructions en tôle.

Benjamin Kamulete (récompensé à la COP22 pour ses briques écologiques en RDC) : j’ai mis au point des briques cuites sans utiliser le bois comme combustible.

Marcienne EMOUGOU: Effectivement la BTC (Brique de Terre Compressée) est un bon compromis en matière de thermique mais le vrai souci c’est comment faire de la production de logement de masse surtout lorsqu’on est en quête de verticalité / Hazoume Madiana : Est ce qu’on ne peut pas justement travailler sur la modernisation de la production de cette BTC ? / Marco Sacchi : @Marcienne quel niveau de verticalité peut-on atteindre à travers la BTC ? / Marcienne EMOUGOU : Jusqu’ici on peut aller à 3 à ma connaissance avec des fondations en briques ou pieux de ciment, et des dalles de ciment aussi.

Amarys Preuss: Il existe d’autres solutions pour des habitats informels et abordables (largement moins que 6 000€) et déjà diffusées en Afrique de l’Ouest : Bouygues s’intéresse-t-elle à s’associer avec ces projets de diffusion déjà existants ? / Marco Sacchi: @Amarys Preuuss : le Groupe Bouygues doit sans doute répondre à des normes de « sécurité » et de « salubrité » qui les rende plus chers. / Naomi Fagla Médégan – Greenflex: @Amarys : Des projets tels que Jamii Bora (Kenya) ont besoin de soutien pour se développer encore davantage / Amarys Preuss: @Marco Sacchi: la question des normes doit certainement influer, mais le choix des matériaux est un facteur important : des solutions qui n’utilisent que des matériaux locaux ne sont peut-être pas toujours suffisamment valorisées par les grands groupes / Amarys Press : La Voûte Nubienne dissémine sur le marché une solution constructive adaptée également pour le secteur informel, mais connue et soutenue aussi par certains maîtres d’ouvrage publics.

Biographie

Fabrice Bonnifet a pour mission d’animer et de coordonner la démarche développement durable du Groupe Bouygues. Pour cela, il participe en appui des managers à l’évolution des modèles économiques des unités opérationnelles, il pilote des projets transverses associés notamment à la stratégie : énergie et carbone, ville durable, achats responsables, éco-conception et économie circulaire… Par ailleurs, il assure le reporting extra-financier et le dialogue avec les parties prenantes du Groupe. Enfin il anime la filière QSE/DD du Groupe et organise des séminaires d’auto-évaluations (EFQM/ISO 26000) et des formations à l’attention des managers sur le thème de la reconfiguration des systèmes de management pour tendre vers des modèles d’entreprises contributives. Il est également Président du Collège des Directeurs du développement durable (C3D) et Administrateur de The Shift Project.

Fabrice Bonnifet est ingénieur du Conservatoire des Arts et Métiers et il enseigne à l’Université de Paris Dauphine dans le Master Développement Durable & Organisations, à l’ENSAM et l’ESTP dans le Mastère Spécialisé Habitat & Construction durables.

Spécialisations : Ergonomie, ACV, méthodes et outils pour l’amélioration continue des processus, management des risques opérationnels, référentiels ISO & Intégration de systèmes de management, prévention-santé-sécurité, environnement (eau, énergie, carbone, biodiversité).

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