La RSE des agro-industries et leurs chaînes de valeur

10 juin 2013 - Institut RSE Afrique - Auteur : Thierry Téné, Directeur et co-fondateur de l’Institut Afrique RSE

(…) la Banque Mondiale annonce que le marché africain de l’alimentaire et des boissons qui représente actuellement 313 milliards de dollars pourrait atteindre 1 000 milliards de dollars d’ici 2030.

Avec près de 60 % de terres arables au niveau mondial non utilisées et adaptées pour les cultures vivrières, une urbanisation de 41 % (supérieure à celle à de la Chine qui est de 35 %), une population d’un milliard d’habitants (deux milliards prévus en 2050) et une classe moyenne solvable de plus 300 millions de personnes, on perçoit mieux les immenses opportunités de l’agri-business en Afrique. Cette classe moyenne urbanisée se positionne comme la véritable locomotive de la consommation et de la croissance africaine.

D’après McKinsey, en 2020, 52 % des ménages africains disposeront de revenus compris entre 5 000 et 20 000 dollars.

Luc Rigouzzo, ancien Directeur Général de Proparco, filiale de l’Agence Française de Développement (AFD) affirmait en 2010 dans Le Figaro qu’ « en 2040, sur le milliard et demi d’habitants que comptera l’Afrique subsaharienne, il y aura 240 millions d’urbains au revenu moyen équivalent à 20 dollars par jour, soit un marché annuel de plus de 1700 milliards de dollars. ».

Les distributeurs mondiaux ont bien saisi les opportunités offertes par ce marché africain. Après le leader mondial Wal-Mart qui a acquis 51 % du capital de Massmart (numéro deux de la grande distribution en Afrique du Sud) en octobre 2010, le numéro 2 Carrefour vient de s’associer à CFAO pour son développement en Afrique. Plus globalement, en s’appuyant sur une étude inédite de Sagaci Research, le quotidien économique français Les Echos affirme que l’Afrique pourrait doubler son équipement commercial en quatre ans.

Mais la saisie de ces opportunités passe nécessairement par la Responsabilité Sociétale. (…) Les industriels ou les distributeurs qui n’anticiperont pas la RSE risquent d’en subir les conséquences.

C’est ce qui vient de se passer pour Herakles Farms qui a annoncé en mars dernier dans un communiqué la suspension de son ambitieux projet d’huile de palme au Cameroun. Après avoir investi des millions de dollars, le groupe a fini par céder aux pressions sur l’impact social et environnemental de ses palmeraies. Les communautés locales et les ONG étaient particulièrement remontées contre ce projet. A l’image de l’huile de palme, c’est toute la filière de l’agro-industrie qui aujourd’hui au cœur des paradoxes en Afrique. Alors que la demande explose, les industries sont confrontées aux fortes pressions des parties prenantes.

Selon le dernier rapport de la FAO sur la situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture, le coût de la malnutrition pour l’économie mondiale, causé par la perte de productivité et les coûts directs des soins de santé, est inacceptable ; il pourrait représenter jusqu’à 5 % du Produit Intérieur Brut (PIB) mondial soit 3,5 milliards de dollars ou 500 dollars par personne. L’Afrique est principalement concernée par cette problématique ainsi que ses causes. Quels engagements des agro-industries dans le social business ?

Dans le domaine environnemental, les africains doivent résoudre une équation avec plusieurs inconnus : comment développer l’agriculture productive, intensive et compétitive tout en préservant la forêt primaire, limitant les externalités négatives et réduisant les émissions de gaz à effet de serre ?

Dans une interview à l’hebdomadaire Jeune Afrique en mars, Bertrand Vignes Directeur Général de SIFCA, premier groupe agro-industriel d’Afrique Ouest, résume la problématique « partout où il y a des forêts primaires, il y a un risque. Surtout en Afrique, où il faudra multiplier par cinq la production agricole, ce qui ne se fera pas dans le Sahara. »

L’autre question centrale de l’agro-industrie en Afrique est celle des terres. Nous africains ne sommes pas pressés de trancher la très sensible question du foncier où le droit coutumier se superpose à celui de l’Etat. Avec ce flou, les relations des agro-industries avec les communautés locales ne sont pas simples et il faut intégrer encore plus en amont la notion de RSE.

Dans son rapport la Banque Mondiale précise que si urgente que soit l’affectation de terres à l’agroalimentaire, il faut surtout veiller à ce que les acquisitions ne menacent pas les moyens de subsistance de la population et que les achats de terres ou les fermages soient conformes à des normes éthiques et socialement responsables, notamment en reconnaissant les droits des utilisateurs locaux, en organisant des consultations avec les communautés locales et en versant un dédommagement juste, au prix du marché, pour les terres acquises.

On observe d’ailleurs deux tendances en Afrique selon le business modèle : les entreprises qui ont développé des partenariats avec les agriculteurs, qui restent détentrices de leurs terres, sont confrontées à une tension moins forte que celles qui ont misé sur l’acquisition de grandes superficies de terres parfois au détriment des populations.

Dans ce deuxième cas la pression est permanente et la société ne fait jamais assez financièrement pour les communautés locales qui demandent tout à l’entreprise même les prérogatives de l’Etat.

Comment sortir de l’assistanat pour impliquer les populations locales dans la création de valeur partagée afin de contribuer au développement local durable en partenariat avec l’Etat et les collectivités territoriales ? Tel est l’un des enjeux de RSE pour les agro-industries en milieu rural. On pourrait aussi mentionner le travail des enfants et la difficulté d’assurer un contrôle des pratiques RSE de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.

En zone urbaine, les questions centrales de la RSE portent sur le packaging, le local content, le respect des normes, l’environnement, les opportunités de l’agriculture biologique et du social-green business, l’intégration de l’informel dans la chaîne de valeur, les questions relatives aux consommateurs, la qualité et l’impact des produits agro-alimentaires sur la santé.

L’enjeu pour les PME africaines est de s’appuyer sur la RSE pour passer de l’entreprise familiale avec un management à la « papa » et « maman » à une gestion moderne dans un contexte de forte concurrence, de prise de conscience du consommateur et d’accroissement des normes.

De plus l’arrivée des leaders mondiaux de la distribution va stimuler l’intégration des pratiques RSE pour conquérir les parts de marché et se positionner comme des fournisseurs. (…)

 

Photo : Devaux – Site EuropeAid

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