L’économie verte, quelles opportunités de développement pour la Côte d’Ivoire ? [interview et film]

1 mars 2014 - CGECI - Interview de Cédric Lombardo, Directeur associé, BeDevelopment

Interview parue dans le bulletin « La Tribune du patronat » de la CGECI

« Nominé au Deauville Green Award 2013, festival international du film sur l’écologie et le développement durable, « RIO+20, Echos Africains » est un documentaire ivoirien produit un an après le Sommet de la Terre « RIO+20 ». Il a été offert aux chaines de télévision d’Afrique Francophone, avec le soutien de la CGECI, pour promouvoir l’économie verte africaine. Vous le trouverez en web-documentaire sur www.cgeci.bedevelopment.tv .
Au lendemain de la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques à Varsovie, nous avons rencontré son réalisateur, Cédric Lombardo, directeur associé de BeDevelopment, spécialisé en management de l‘innovation et du développement durable.

Monsieur LOMBARDO, pourquoi avoir produit « RIO+20, Echos Africains » ?
Pour la même raison que la CGECI a décidé d’en être un mécène. Car il est urgent de ne plus regarder le développement durable comme une question d’humanisme ou de charité, pour y voir des leviers de compétitivité et de développement de nos économies africaines.

L’environnement est la clé de notre productivité dans bien des domaines économiques : le succès de la Côte d’Ivoire repose encore sur l’agriculture, donc sur la qualité de nos terres, de nos pluies et de notre couvert forestier. La pluie et les températures sont des facteurs de production. La préservation de l’environnement n’est pas une contrainte de développement : c’est un pilier de l’économie ivoirienne.
En 2012, Le Sommet de RIO+20 marquait 40 ans de travaux internationaux pour un modèle de développement plus durable. L’Afrique y a participé et nous avons voulu faire entendre cet écho africain. Nous sommes partis à la rencontre de centres de recherche Ouest Africains et d’acteurs de l’économie verte africaine pour montrer une vision concrète du développement durable. Nous voulions présenter clairement les enjeux, proposer des réponses puisant aussi bien dans les pratiques ancestrales africaines que dans les innovations technologiques internationales. Pour répondre aux enjeux nous devons multiplier la prise de conscience, mieux informer la population, renforcer le lien entre chercheurs et décideurs, proposer des outils opérationnels, robustes, adaptés à nos réalités africaines.

Quels sont ces enjeux du développement durable si urgent pour les économies africaines ?
Nous pouvons les résumer en 3 constats, et je pense que nous les faisons tous.

D’abord, le climat change. Nous voyons plus de sécheresses, plus d’inondations, elle entrainent des pertes de production agricole ou d’infrastructures. Nos ressources renouvelables sont affectées, ce qui se traduit dans le prix des produits agricoles, de l’élevage, etc.. Ensuite, les ressources fossiles tels que les hydrocarbures ou minerais sont plus difficilement accessibles. Si l’homme les puise sans pouvoir les renouveler, elles s’épuisent. Il en reste, bien sûr, mais nous allons plus loin et plus profond pour en trouver, ce qui se retrouve encore dans les prix : du gaz, des transport, des fertilisants de synthèse, etc. Enfin, la population augmente. Plus de personnes souhaitent accéder à ces mêmes ressources déjà devenues moins accessibles. Elles grandissent en voyant les zones de vies viables se réduire en Afrique.

Conclusion, la demande en ressources augmente plus vite que l’offre, tandis qu’un environnement moins viable entraine des migrations climatiques. Associez les deux et vous cumulerez les risques de tensions sociales : les émeutes mondiales de la vie chère en 2008 sont indicateur à ne pas négliger. Ce modèle ne peut pas durer. A contrario, le développement durable se veut un instrument de stabilité sociale et de lutte contre la vie chère, deux conditions indispensables à notre essor économique. En toutes hypothèses, nous sommes démographiquement condamnés à une croissance économique verte.

Mais comment l’économie verte y arriverait ? Et d’abord comment la définissez vous ?
C’est l’alternative à une économie brune, le modèle dans lequel nous évoluons. Cette économie est brune comme la couleur du pétrole et du charbon de bois que nous brulons. Elle se caractérise par une prédation des ressources naturelles, une industrie encore trop polluante, un développement qui se fait trop souvent au détriment des hommes et de notre environnement. Les conséquences sont mondialement connues depuis le premier Sommet de la Terre, à Stockholm, en 1972. N’étant pas nés, vous et mois étions appelés « les génération futures ».

On oppose à ce modèle une économie verte, qui place le profit économique, la préservation de l’environnement et le respect des hommes sur un pied d’égalité. Ici les performances extra financières de l’entreprise sont aussi importantes que ses performances financières. Le modèle n’est plus la prédation des ressources mais leur gestion efficiente. Ce n’est plus la cherté du taux horaire mais la qualité de sa productivité. L’environnement devient un positionnement stratégique et un facteur de compétitivité. Ceci pour offrir aux générations futures plus d’opportunités que ce monde nous a offert. Sauf que ces générations futures sont là : l’âge moyen de notre continent est de 18 ans.

L’économie verte est donc l’application économique du développement durable. Pour la réaliser, nous devons opérer un changement des modèles technologiques, développer de nouveaux modèles économiques, les soutenir par de nouveaux cadres réglementaires et financiers. Le développement de projets éco-innovants réclame la maîtrise de plusieurs facteurs d’innovations, le plus souvent en simultané ; il faut créer un écosystème favorable à leur développement pour transformer les facteurs de risques en facteurs de succès. Car l’économie verte ne se développera que si vous garantissez la rentabilité des investissements.

Comment faites vous le lien entre Responsabilité Sociétale des Entreprises et Economie Verte ?
L’Economie verte, c’est de la macro-économie. Nous devons agir sur plusieurs leviers, technologiques, économiques, réglementaire et financiers, pour formuler de nouvelles stratégies, dans chaque secteur du développement : énergie, agriculture, etc. Les modes opératoires en place, nous pourrons développer des projets économiques de manière plus dynamique, tels que les bioénergies ou les biofertilisants, créer des emplois verts reposant sur les formations qui sont déjà disponibles, etc.

La RSE en est le pendant micro-économique. C’est à dire que l’entreprise s’applique à elle même les principes de l’économie verte, pour améliorer sa performance économique, sociétale et environnementale. La RSE est un outil majeur des entreprises de l’économie verte, au même titre que la finance verte ou la recherche et développement. L’essor de la RSE, surtout depuis le début des années 2000, est une chance. Elle est le fruit des acteurs économiques eux mêmes, bien plus opérationnel que certains outils issus des négociations diplomatiques sur le changement climatique. Les bénéfices sont tangibles pour les entrepreneurs : dépenses économes en ressources, création de nouveaux marchés, meilleure résilience aux chocs économiques et environnementaux, amélioration des performances des ressources humaines, etc. Car pour convaincre les opérateurs de s’engager dans la RSE, il faut répondre à une question simple : « RSE, je gagne quoi dedans ? »

Y a-t-il une norme de référence RSE auxquelles à utiliser ?
Il y a plusieurs référentiels de la RSE, pour élaborer sa stratégie RSE ou en effectuer le reporting, car le savoir faire est ici aussi important que le faire savoir. Il faut d’abord distinguer les directives et standards internationaux : UN Global Compact, Global Reporting Initiative G4, ISO 26.000, etc. Ce sont le tronc commun à tous les acteurs. Viennent ensuite des directives et standards sectorielles, c’est à dire adaptées au secteur bancaire, aux NTIC, aux industries extractives, etc.

Il faut donc définir les objectifs de votre stratégie RSE pour savoir quels référentiels vous suivrez. De notre côté, nous avons développé une matrice de concordance pour naviguer entre grands standards et décliner les spécificités sectorielles. Enfin, il y a un domaine qu’aucun de ces référentiels ne couvrent, bien qu’ils mènent à se poser la question : au delà du cycle de vie des produits, quel virage stratégique effectuer dans mes lignes de production?

Comment analysez vous le développement de l’économie verte et de la RSE en Côte d’Ivoire ?
Nous parlons avant tout de bon sens économique et d’humanisme : économie verte et RSE ont toujours existé en Côte d’Ivoire. Ils ne portaient pas ce nom, les acteurs étaient encore moins nombreux, et comme toujours cela tient avant tout de la personnalité des dirigeants. En 1965, le Président Houphouët Boigny et le Prince Agha Kan ont créé IPS West Africa pour que le développement industriel soutienne le développement social. Dans les années 1980 Marcel Zady Kessi révolutionnait la gestion des ressources humaines et Roger Abinader ouvrait le complexe de Gancé pour lutter contre le braconnage. Début 2000, Yves Lamblin consacrait le développement durable au cœur de l’agro-industrie ivoirienne et Jacques Servant dans l’industrie forestière. Depuis 2010 nous sortons de l’informel, la RSE se vulgarise grâce au travail de Pierre Magne et du Dr Bakary Traoré. La CGECI a une commission dédiée. Aujourd’hui nos groupes s’engagent, demain nos PME actives à l’international seront les forces vives de la RSE ouest africaine.

Une dernière question, vous avez parliez de finance verte au début de cet entretien ?
L’argent est le nerf de la guerre. Le secteur des banques et assurances, du capital risque et développement sont actives. Vous ne verrez aucun assureur nier le changement climatique : ils le modélisent dans leur algorithmes de calcul de primes et d’anticipation de sinistres. Début des années 2012, nous avions identifié plus de 300 milliards dollars d’outils de financements exclusivement destinés, dans le monde, aux entreprises de l’économie verte et entreprises socialement responsables. Mettons de côté les crédits carbones, les lignes de la Société Financière Internationale ou du Fonds pour l’Environnement Mondial, pour ne regarder que les fonds privés ISR (NDLR : Investissements Socialement Responsable) : en Europe de l’Ouest, ils totalisaient 95 milliards d’Euros en 2011, le Top 5 des plus rentables affichaient plus de 34% de retour sur investissement en 1 an.

Soyons clairs : La Banque Mondiale reconnait que nous nous dirigeons vers un changement climatique irréversible, le FMI craint de voir le baril de pétrole à 150 dollars d’ici à 2025 et le Nigéria sera le 3ème pays le plus peuplé du monde en 2050. Il est inutile d’être alarmiste et trop tard pour être pessimiste. Nous n’avons d’autre choix que le succès, les outils techniques, financiers, économiques, réglementaires sont là. Nous sommes un pays en développement et c’est une chance : celle de saisir un modèle de développement durable qui a fait ses preuves. Et le développement n’est pas que l’affaire de l’Etat, le rôle des opérateurs économiques est d’identifier des opportunités de croissance, d’entreprendre de nouveaux marchés pour créer un profit partagé entre plusieurs parties prenantes. »

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