Nouveau rapport : « En quête de transparence : sur la piste des banques françaises dans les paradis fiscaux »

« Pour la première fois en 2015, dans le cadre de la loi bancaire [2], les banques françaises ont rendu publiques des informations essentielles sur leurs activités et les impôts qu’elles paient dans tous les pays où elles sont implantées : une première étape vers une plus grande transparence économique. A partir de ces informations, les trois organisations auteures du rapport ont analysé en détail les activités internationales des cinq plus grandes banques françaises – BNP Paribas, groupe BPCE (Banque Populaire et Caisse d’Epargne), Société Générale, Crédit Agricole et Crédit Mutuel – CIC [3]. Cette enquête les a rapidement menées au cœur des paradis fiscaux.

Les chiffres révélés dans cette étude témoignent ainsi de la déconnexion entre les bénéfices déclarés dans les paradis fiscaux et l’activité réelle des banques. A l’international, les banques françaises réalisent un tiers de leurs bénéfices dans les paradis fiscaux, alors même qu’ils ne représentent qu’un quart de leurs activités, qu’un cinquième de leurs impôts et seulement un sixième de leurs employés.

Les principaux résultats de cette étude témoignent tant de l’importance des activités menées dans les paradis fiscaux que des spécificités de ces territoires :

  • Les banques françaises déclarent un tiers de leurs bénéfices internationaux dans les paradis fiscaux. Le Luxembourg, paradis fiscal au cœur de l’Union européenne, accueille à lui seul 11 % de ces bénéfices.
  • Les activités des cinq banques françaises sont 60 % plus lucratives dans les paradis fiscaux que dans le reste du monde. La Société Générale est à ce titre la banque la plus « rentable » : à volume d’activité égal, ses activités dans les paradis fiscaux rapportant plus de quatre fois plus que dans les autres pays.
  • Les salariés des banques étudiées sont en moyenne 2,6 fois plus productifs dans les paradis fiscaux que dans les autres pays. L’Irlande est de loin le paradis de la productivité par salarié : le travail d’un salarié du groupe BPCE y rapporte en moyenne 1,8 million d’euros, soit 31 fois plus que la moyenne de l’ensemble des salariés du groupe. Dans 34 cas, les banques indiquent même avoir des filiales dans des territoires offshore sans aucun effectif. La palme en la matière revient aux Iles Caïmans : les cinq banques françaises y possèdent en tout 16 filiales, sans un seul salarié, et pourtant 45 millions d’euros de bénéfices y sont déclarés.
  • Les activités les plus risquées et spéculatives sont toujours situées dans les paradis fiscaux. Les activités de banque de détail y sont en effet très minoritaires : le Crédit Agricole compte par exemple près de 4 fois moins de banques de détail dans les paradis fiscaux que dans les autres pays.
  • A taux de profits égaux, les banques françaises payent deux fois moins d’impôts dans les paradis fiscaux. Dans 19 cas, les banques françaises n’y paient même aucun euro d’impôt bien qu’elles y déclarent des bénéfices. Derrière ces chiffres, c’est bien l’utilisation spécifique des paradis fiscaux par les banques françaises qui est interrogée : transfert artificiel de bénéfices et donc réduction de leurs propres impôts, facilitation de l’évasion fiscale de leurs clients ou encore contournement de leurs obligations réglementaires en y menant des activités spéculatives et risquées.

Pour Manon Aubry, responsable de plaidoyer Justice Fiscale et Inégalités à Oxfam France : « Alors que l’on sait que l’évasion fiscale représente pour la France un manque à gagner compris entre 40 et 60 milliards d’euros par an[4], on voit derrière les résultats de cette étude que l’ère des paradis fiscaux est malheureusement loin d’être révolue. Ils restent au cœur de la stratégie internationale des banques françaises. Comment expliquer les résultats si singuliers enregistrés dans les paradis fiscaux autrement que par les facilités fiscales et réglementaires qu’offrent ces pays ? »

« Ce premier exercice de transparence, bien qu’encore imparfait, prouve que la transparence publique est possible et utile pour mieux comprendre les activités des banques dans les paradis fiscaux. Mais au regard des activités des seules grandes banques françaises dans les paradis fiscaux, imaginez ce qu’il en est au niveau de l’ensemble des multinationales ! Combien de scandales d’évasion fiscale devront encore éclater avant que l’on fasse toute la lumière sur les stratégies de contournement fiscal des entreprises ? Il est désormais temps d’étendre l’obligation du reporting public à l’ensemble des multinationales », déclare Lucie Watrinet, chargée de plaidoyer financement du développement au CCFD-Terre Solidaire et coordinatrice de la Plateforme paradis Fiscaux et Judiciaires.

Les organisations auteures de ce rapport appellent la France à étendre l’obligation de reporting public à toutes les grandes multinationales dans le cadre de la loi sur la transparence de la vie économique qui sera étudiée dans quelques semaines à l’Assemblée nationale. Elles appellent également le gouvernement français à soutenir activement la proposition de reporting public voté par les eurodéputés dans le cadre de la directive « Droit des actionnaires » encore en discussion au niveau de l’Union européenne [5].

« Ce rapport doit constituer un signal d’alarme pour l’administration fiscale et pour les parlementaires, qui devraient mener des enquêtes approfondies sur les cas les plus problématiques mis en lumière. La transparence est un premier pas dans la lutte contre l’évasion fiscale. Elle ouvre la voie à un agenda plus ambitieux de lutte contre l’évasion fiscale au niveau européen », conclut Grégoire Niaudet, chargé de plaidoyer au Secours Catholique-Caritas France.

Note aux rédactions

[1] Cette étude fait suite à un précédent rapport de la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires concernant les premières informations publiées par les banques françaises en 2014. Au moment de la première analyse de ce type, publiée en novembre 2014, les banques n’avaient divulgué, conformément à la loi bancaire qui s’est appliquée en deux temps, que trois des six catégories d’information qui constituent actuellement le reporting pays par pays public : filiales, chiffres d’affaires et nombre d’employés.

[2] En mars 2013 les députés français ont introduit dans la loi bancaire n° 2013-672 un amendement exigeant des banques françaises qu’elles publient des informations concernant leurs activités (chiffre d’affaires, nombre d’employés et nombre de filiales) dans tous les pays où elles sont présentes. La même obligation a été introduite au niveau européen, avec l’ajout des bénéfices, des impôts payés et des subventions publiques reçues, dans la directive CRD IV adoptée en juin 2013. La loi bancaire française a été finalement adoptée en juillet 2013.

[3] Méthodologie : Les informations utilisées dans ce rapport ont été extraites des documents de référence annuels 2014, publiés en 2015, des cinq plus grands groupes bancaires français : BNP Paribas, groupe BPCE, Société Générale, Crédit Agricole, Crédit Mutuel-CIC. Conformément à la quatrième directive européenne sur les fonds propres règlementaires du 26 juin 2013 et à la loi bancaire française du 26 juillet 2013, les établissements financiers ont en effet rendu publiques les données relatives à leur activité dans chacun de leur pays d’implantation. Cette disposition, dite de « reporting public pays par pays », comprend : le nom des implantations et la nature de leurs activités, le produit net bancaire (équivalent du chiffre d’affaires), les effectifs, en équivalent temps plein, les bénéfices ou pertes avant impôt, les impôts payés, les subventions reçues. C’est à partir de ces informations compilées et agrégées qu’ont été calculés un certain nombre d’indicateurs (détaillés dans chaque indice et en annexe) qui ont permis de réaliser des comparaisons entre les paradis fiscaux et le reste du monde. Les pays classés dans le groupe des paradis fiscaux, réglementaires et judiciaires sont ceux de la liste établie par le Tax Justice Network, à l’exception des Etats-Unis, du Royaume-Uni et du Portugal qui en ont été retirés pour les besoins de cette étude. La méthodologie complète est disponible en annexe 1 du rapport.

[4] BRUNEAU I. et RAFFINEUR M. (2014), Rapport d’information sur l’Union européenne et la lutte contre l’optimisation fiscale, déposé par la Commission des affaires européennes, 6 octobre 2015, disponible sur http://www.assemblee-nationale.fr/1…

[5] Le Parlement européen a voté en juillet dernier un amendement en faveur du reporting public pays par pays dans le cadre de la directive « Droits des Actionnaires ». Le texte est actuellement en débat dans le cadre du trialogue avec le Conseil et la Commission européenne. La Commission européenne a quant à elle lancé une étude d’impact sur la question du reporting public en juin 2015. Les résultats de cette étude d’impact doivent être rendus publics le 12 avril prochain et seront vraisemblablement accompagnés d’une proposition législative de la Commission. »

Rapport et données téléchargeables au lien ci-dessous

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