À égalité ! – Il est temps de mettre fin aux inégalités extrêmes [campagne et rapport]

29 octobre 2014 - Oxfam

Du Ghana à l’Allemagne, de l’Afrique du Sud à l’Espagne, le fossé entre les riches et les pauvres se creuse rapidement et les inégalités économiques atteignent des sommets. En Afrique du Sud, elles excèdent aujourd’hui celles déplorées à la fin de l’apartheid.

Les conséquences sont corrosives pour tous. Les inégalités extrêmes corrompent la politique, freinent la croissance économique et entravent la mobilité sociale. Elles alimentent le crime et même des conflits violents. Elles dilapident les talents, anéantissent le potentiel et minent les bases de nos sociétés.

Surtout, l’augmentation rapide des inégalités économiques extrêmes fait obstacle à l’éradication de la pauvreté à l’échelle mondiale. Aujourd’hui, des centaines de millions de personnes vivent sans avoir accès à de l’eau potable propre ni à des quantités de denrées alimentaires suffisantes pour nourrir leur famille. La plupart d’entre elles travaillent jusqu’à l’épuisement pour joindre péniblement les deux bouts. Nous pouvons améliorer la vie de la majorité si nous combattons l’extrême concentration de richesses et de pouvoirs aux mains des élites.

Les dizaines d’années d’expérience accumulées par Oxfam au sein des communautés les plus pauvres nous ont appris que la pauvreté et les inégalités ne sont ni inévitables ni accidentelles, mais qu’elles résultent de choix politiques délibérés. Il est possible de renverser les inégalités. Le monde a besoin d’une action concertée pour bâtir un système économique et politique plus juste qui valorise la majorité. Les règles et systèmes à l’origine de l’explosion actuelle des inégalités doivent changer. Il est indispensable d’agir de toute urgence pour aplanir les disparités en mettant en œuvre des politiques de redistribution de l’argent et du pouvoir des quelques privilégiés au plus grand nombre.

À l’aide de nouvelles recherches et de nouveaux exemples observés dans le monde entier, le présent rapport illustre la portée du problème des inégalités économiques extrêmes et révèle les multiples dangers qu’il pose pour les citoyens, où qu’ils se trouvent. Il identifie les deux puissantes forces motrices qui ont conduit à l’augmentation rapide des inégalités dans de nombreux pays : le capitalisme sauvage et la mainmise des élites sur le monde politique. Ce rapport met en avant quelques-unes des étapes concrètes qu’il est possible de suivre pour répondre à cette menace et présente des éléments qui prouvent que le changement est possible.

Les inégalités économiques extrêmes ont explosé dans le monde ces 30 dernières années, jusqu’à représenter l’un des plus grands défis économiques, sociaux et politiques de notre époque. Les éternelles inégalités fondées sur le sexe, la caste, la race et la religion (des injustices en elles- mêmes) sont exacerbées par le décalage qui se creuse entre les nantis et les démunis.

Alors qu’Oxfam lance sa campagne À égalité ! au niveau mondial, nous nous unissons à un concert de voix diverses qui réunit des milliardaires, des leaders religieux et des directeurs et directrices d’institutions, notamment le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, ainsi que des syndicats, des mouvements sociaux, des organisations de femmes et des millions de personnes dans le monde. Ensemble, nous demandons aux dirigeants du monde entier d’agir pour mettre aux inégalités

Les tendances en matière de revenus et de richesses sont sans appel : le fossé entre les riches et les pauvres est aujourd’hui plus profond que jamais, et il continue de se creuser. Le pouvoir est de plus en plus concentré dans les mains de quelques élites.

Les inégalités entre les différents pays ont augmenté rapidement entre 1980 et 2002, jusqu’à atteindre un niveau très élevé. Elles ont légèrement diminué depuis, en raison de la croissance dans les pays émergeants, tout particulièrement en Chine. Toutefois, ce sont les inégalités au sein de chaque pays qui comptent le plus pour la population, lorsque les plus démunis peinent à joindre les deux bouts tandis que leurs voisins prospèrent. Or, ces inégalités augmentent rapidement dans la plupart des pays du monde. Sept personnes sur dix vivent dans un pays dans lequel l’écart entre les riches et les pauvres est plus grand qu’il y a 30 ans. Par ailleurs, dans différents pays, une minorité riche se partage une part sans cesse plus importante des revenus nationaux.

À l’échelle mondiale, les inégalités de richesses sont encore plus marquées chez les particuliers. Oxfam a calculé qu’en 2014, les 85 plus grandes fortunes du monde détenaient autant que la moitié la plus pauvre de l’humanité. Entre mars 2013 et mars 2014, ces 85 personnes ont gagné 668 millions de dollars de plus par jour. Si Bill Gates décidait de retirer la totalité de ses avoirs et dépensait 1 million de dollars par jour, il lui faudrait 218 ans pour venir à bout de sa fortune. Mais en réalité, il ne se retrouverait jamais à court d’argent : même un modeste retour d’à peine moins de 2 % lui permettrait de percevoir 4,2 millions de dollars par jour uniquement en intérêts.

Depuis la crise financière, le nombre de milliardaires a plus que doublé et s’élève désormais à 1 645 personnes. Par ailleurs, l’extrême richesse n’est pas uniquement l’affaire des pays riches. La plus grande fortune mondiale appartient au mexicain Carlos Slim, qui a dérobé la première place à Bill Gates en juillet 2014. On compte actuellement 16 milliardaires en Afrique subsaharienne, contre 358 millions de personnes vivant dans l’extrême pauvreté16. Dans le monde entier, des niveaux de richesse absurdes coexistent avec une pauvreté intolérable.

Le bénéfice potentiel associé à la réduction de l’explosion des richesses, même minime, est également révélateur. Oxfam a calculé qu’un impôt de seulement 1,5 % sur la fortune des milliardaires du monde, si mis en place directement après la crise financière, aurait pu sauver 23 millions de vies dans les 49 pays les plus pauvres, en leur apportant les fonds nécessaires pour investir dans des soins de santé17. Le nombre de milliardaires et leur patrimoine cumulé a augmenté si rapidement qu’en 2014, un impôt de 1,5 % sur leur fortune pourrait combler les déficits annuels de financements nécessaires pour scolariser tous les enfants et fournir une couverture santé universelle dans les 49 pays les plus pauvres.

Un certain niveau d’inégalités est inévitable pour rétribuer ceux qui ont du talent, des compétences, l’ambition d’innover et l’esprit d’entreprise. Toutefois, les extrémités atteintes actuellement en matière d’inégalités économiques nuisent à la croissance et aux progrès et ne permettent pas d’investir dans le potentiel de centaines de millions de personnes.

Les inégalités extrêmes : un obstacle à la réduction de la pauvreté

L’augmentation rapide des inégalités économiques extrêmes restreint considérablement la lutte contre la pauvreté. Oxfam a démontré dans une nouvelle étude qu’au Kenya, en Indonésie et en Inde, des millions de personnes supplémentaires pourraient échapper à la pauvreté si les inégalités de revenus étaient réduites. Si l’Inde mettait un terme à l’augmentation des inégalités, elle pourrait mettre fin à l’extrême pauvreté de 90 millions de personnes en cinq ans seulement. Si le pays allait plus loin en réduisant les inégalités de 36 %, il pourrait éradiquer presque entièrement l’extrême pauvreté. The Brookings Institution a également développé des scénarios révélant comment les inégalités empêchent l’éradication de la pauvreté à l’échelle internationale. Selon un scénario où les inégalités seraient réduites, 463 millions de personnes supplémentaires pourraient échapper à la pauvreté par rapport à un scénario où les inégalités seraient accrues.

Dans un pays, la répartition des revenus a des répercussions considérables sur les perspectives d’avenir de ses citoyens. Le Bangladesh et le Nigeria, par exemple, ont des revenus moyens similaires. Le Nigeria est seulement légèrement plus riche, mais il est bien moins égalitaire. Il en résulte qu’un enfant né au Nigeria est trois fois plus susceptible de mourir avant son cinquième anniversaire qu’un enfant né au Bangladesh.

Les dirigeants du monde entier débattent actuellement de nouveaux objectifs internationaux, en vue de l’éradication de l’extrême pauvreté d’ici 2030. Toutefois, à moins de déterminer un objectif relatif aux inégalités économiques, leurs efforts sont voués à l’échec, et d’innombrables vies seront perdues.
Les inégalités extrêmes nuisent à une croissance économique bénéficiant à la majorité.

Il est courant de présupposer que réduire les inégalités nuira à la croissance économique. En réalité, un solide corpus de données récentes démontre que les inégalités extrêmes sont néfastes pour la croissance. Dans les pays dans lesquels sévissent des inégalités économiques extrêmes, la croissance est de courte durée et la croissance à long terme est affaiblie. Les économistes du FMI ont récemment documenté la manière dont les inégalités économiques ont contribué à causer la crise financière internationale. L’argument de la « croissance » pour ne pas s’attaquer à la résolution des inégalités économiques ne tient clairement plus.

Les inégalités extrêmes atténuent également le potentiel de la croissance en matière de réduction de la pauvreté. Dans de nombreux pays, la croissance économique n’est déjà plus qu’une manne réservée aux plus riches de la société. Par exemple, en Zambie, le PIB par habitant a progressé en moyenne de 3 % par an entre 2004 et 2013, hissant la Zambie dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure de la Banque mondiale. Malgré cette croissance, la part des personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté de 1,25 dollar par jour est passée de 65 % en 2003 à 74 % en 2010. Des recherches d’Oxfam et de la Banque mondiale suggèrent que le problème des inégalités est le chaînon manquant expliquant comment un taux de croissance identique dans plusieurs pays peut engendrer différents taux de réduction de la pauvreté.

Photo : Del Philippines – Site EuropeAid

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